Pauline : “J‘aurais pu être DG 10 ans plus tôt si j’avais été un homme”

SÉRIE DE TÉMOIGNAGES – Pauline* a éprouvé pendant de longues années un manque de considération de la part de sa hiérarchie, avant de devenir enfin directrice générale.

Elle avait fait le tour, elle plafonnait, elle voulait devenir directrice générale et forcément la place était prise. « Cela devenait compliqué pour moi d’accéder à des fonctions supérieures au sein de cette structure », déclare Pauline.

Des ailes coupées

Cette structure avait un mode de fonctionnement qui ne lui permettait pas d’exprimer ses positions. Elle ressentait une « moindre écoute dans les instances » par rapport à ses homologues masculins. Sa parole était constamment coupée, son travail accompli était moins considéré, moins important aux yeux de son patron. « Cela s’exprime par la place que l’on vous donne au sein d’une organisation, la crédibilité que l’on accorde à vos propos. Dans un comex où les femmes ne représentent que 20% des membres, quand nous étions sollicitées sur certains points, nous avions rarement l’occasion de finir nos phrases et nous étions souvent critiquées ou décrédibilisées », explique-t-elle. Les échanges suivaient souvent le même schéma. « Je sentais un agacement qui montait, et finalement la sentence tombait : ‘Ce n’est pas comme ça que cela se passe, vous n’avez rien compris’, lâchait le DG. J’ai rarement entendu ce genre de propos sur des collègues masculins », partage-t-elle.

Lorsque la discussion s’envenimait, la meilleure réaction de Pauline était de « laisser couler », de « ne pas rebondir », car autrement, « cela se transforme en attaque personnelle du genre ‘vous ne répondez pas au sujet’ ou ‘arrêtez de vous plaindre’. En tant que femme, Pauline estime qu’il n’est pas rare de se faire traiter d’ « hystérique ». ‘Vous n’êtes jamais contente’, lui reprochait le DG si elle manifestait son désaccord.

Pauline recevait des remarques en frontal de son directeur sur sa tenue vestimentaire. « Mes vêtements n’étaient pas bien assortis, mon foulard n’était pas bien noué, ma jupe, trop courte, ma tenue, pas appropriée à la fonction… », détaille Pauline. Elle ne pense pas que ces propos soient malveillants, mais le fruit d’une éducation à l’ancienne, où le patron adopte une position paternaliste et a besoin que les gens soient exactement comme il le souhaite.

Le plus gênant, en revanche, c’était des propos murmurés dans les couloirs quand elle montait sur scène, du genre « elle est bien sapée » ou des commentaires sur ses vêtements, sa coiffure, ses bijoux, ses chaussures… Elle a déjà entendu à la machine à café des bavardages sur d’autres femmes du style « elle est amoureuse » ou au contraire « elle est mal baisée » prononcés par des hommes haut placés.

« Le plus grave c’est que personne ne relève. C’est même mal vu de remettre la personne à sa place en signalant le caractère déplacé de ces propos », s’indigne Pauline.

Faut-il endosser le rôle de DG pour être enfin respectée ?

Maintenant qu’elle est à la tête d’un comex, elle est « très vigilante » sur le respect des temps de parole. Elle s’attache à équilibrer les forces ne serait-ce que dans le nombre de femmes au comex. Elle n’hésite pas « à recadrer en permanence les éventuels dérapages » et si quelqu’un est coupé, elle lui redonne la parole, elle s’assure que « les sujets portés par les femmes soient traités avec le même degré d’importance que ceux amenés par les hommes ».

Justement, elle a recruté une jeune femme et elle voit bien qu’elle est traitée par ses homologues masculins comme « une petite jeune fille ». Cela s’exprime souvent de façon indirecte, dans la forme, dans le langage non verbal. « Quand elle s’exprime, les hommes la regardent, amusés, avec un demi sourire. Une femme doit toujours faire ses preuves pour être prise au sérieux. C’est comme si on partait avec deux cases de retard dans un jeu de société. J’aurais pu être DG 10 ans plus tôt si j’avais été un homme », considère-t-elle.

Dans une société, les décisions importantes ne se prennent pas toujours en comité de direction, mais souvent le soir, lors des échanges informels. Pauline s’est sentie souvent écartée de cette vie sociale. Elle estime ne pas avoir eu les moyens de créer cet éco-système extra-professionnel. « Le off se fait moins facilement quand vous êtes une femme. J’ai déjà invité des collègues hommes chez moi et j’ai été rarement invitée en retour », regrette Pauline.

Elle se souvient d’un dîner, où le déséquilibre dans la relation s’est révélé gênant pour tous les convives. Elle s’est retrouvée à discuter avec l’épouse de son collègue, femme au foyer, avec laquelle elle n’avait rien en commun, tandis que le mari de Pauline peinait à justifier son rôle d’époux d’une femme carriériste. « C’est admis que les femmes n’aient pas fait de carrière alors que pour mon mari c’était très inconfortable », confie-t-elle.

Un des homologues de Pauline a même dit à son mari : « Je ne sais pas comment tu fais. Ta femme ne pense qu’à sa carrière et elle te laisse tomber ». Maintenant qu’elle travaille loin de son lieu de vie, on lui a déjà reproché d’ « abandonner ses enfants et son mari, alors qu’un homme qui travaille loin ne choque personne », regrette Pauline. Cela lui rappelle cette nounou qui, il y a des années, la voyant débarquer pour venir chercher son enfant, la faisait culpabiliser : « Regarde, ce n’est pas tous les jours que maman vient te chercher. D’habitude elle est trop occupée à travailler ! ». Aurait-elle dit la même chose à un père ?

*le prénom a été modifié

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