Philippe Mangematin : « Les nouveaux intervenants ont l’avantage de la page blanche »

Philippe Mangematin de Seyna
Philippe Mangematin, cofondateur et CEO de Seyna.

[Tribune] Pour News Assurances Pro, Philippe Mangematin, cofondateur et CEO de Seyna dresse le bilan 2020 de l’innovation en assurance et se projette en 2021.

L’assurance a depuis sa création la vocation à permettre aux acteurs économiques d’entreprendre, par la mutaualisation des risques. Les mutations technologiques, les ruptures ou encore les évolutions sociétales ont toujours créé des besoins nouveaux, que les assureurs ont su prendre en charge par différentes innovations dans les couvertures ou les services associés.

Nous avons assisté ces dernières années à une accélération dans le changement des modes de vie, que ce soit le développement du e-commerce, d’abord en parallèle, puis au détriment du commerce physique, l’économie du partage, les nouvelles mobilités sous toutes ses formes. Conjointement à ces nouveaux usages, des progrès technologiques considérables ont permis d’automatiser un grand nombre de tâches grâce à l’intelligence artificielle, l’utilisation et le traitement de données de plus en plus nombreuses, la segmentation de plus en plus fine des risques.

Face à cette double évolution des nouveaux risques et des moyens disponibles, les assureurs doivent accélérer le rythme de leurs innovations pour adapter leurs produits, leurs garanties et services ainsi que les canaux de vente pour mieux servir leurs clients.

Ces changements sont aussi rendus nécessaires par la pression des nouveaux entrants dans le monde de l’assurance. Longtemps protégés par des barrières à l’entrée dissuasives, comme l’accès au capital, la réglementation, l’accès à la donnée, les assureurs sont aujourd’hui confrontés à l’arrivée sur leur marché de sociétés technologiques américaines ou asiatiques à l’ambition mondiale.

Ces nouveaux entrants arrivent avec un certain nombre de handicaps, comme un manque de connaissance du secteur, pas d’historique de données, une base de clientèle à créer et fidéliser, mais aussi avec des atouts importants, comme des grandes ressources financières ou encore un avantage « culturel » dans un monde qui s’accélère.

Les nouveaux acteurs interviennent sans héritages technologiques. à l’heure où des immenses projets informatiques sont lancés dans les principaux groupes d’assurance et de courtage, ces nouveaux intervenants ont l’avantage de la page blanche, et peuvent s’appuyer dès le départ sur les meilleurs outils numériques disponibles.

Ils ont également un avantage financier aujourd’hui indéniable, à l’heure où les valorisations des sociétés technologiques dépassent dans des proportions jamais vues les valeurs des banques, des compagnies d’assurance ou de courtage. C’est ainsi que les principales sociétés technologiques américaines (GAFAM) valent, chacune, entre 20 et 30 fois les plus gros assureurs américains. On pourrait également citer les valorisations des principales start-ups américaines de l’assurance, dont certaines, comme Lemonade, interviennent désormais sur notre marché. On peut penser qu’il s’agit d’aberrations financières, ou de simples spéculations sans fondement réel et solide, là n’est finalement pas la question, car ces différences se ressentent nécessairement et presque mécaniquement sur les moyens à disposition de chacun des types d’acteurs. Avec de telles ressources financières, les barrières à l’entrée paraissent beaucoup plus facilement surmontables.

Au-delà des simples moyens financiers, les sociétés technologiques interviennent aussi avec une logique culturelle fondamentalement différente, fondée sur l’expérimentation et l’innovation permanentes. Ils ont certes une agilité due à leur jeune âge, mais aussi moins de lourdeurs hiérarchiques et de procédures. Aller vite, tester rapidement les hypothèses et le produit sur leur marché, tel est l’objectif. Les groupes d’assurance traditionnels quant à eux, ont plutôt développé la culture du temps long, afin de privilégier la solidité des hypothèses et des modèles, plutôt que l’innovation en tant que telle. Cela amène les acteurs traditionnels à s’établir sur une échelle de temps différente. Planifier rigoureusement, pour s’assurer qu’un nouveau produit ne conduise pas à des pertes importantes, en raison d’une sous-tarification et de mécanismes bien connus chez les actuaires d’antisélection ou d’aléa moral, par exemple.

Pour faire face aux nouveaux risques, les assureurs établissent depuis longtemps des cartographies des risques existants et émergents visant à capter les signaux faibles. Dans un monde de plus en plus changeant et incertain, il est cependant impossible d’anticiper et de prévoir toutes les évolutions possibles. L’année écoulée nous aura apporté la preuve de la matérialisation soudaine de risques encore jamais vus dans leurs ampleurs. Il devient donc indispensable de pouvoir réagir rapidement face à des événements imprévus en s’inspirant, par exemple, de l’état d’esprit des grandes sociétés technologiques. Pour les assureurs, se mettre dans une logique d’apprentissage devient une priorité pour développer la capacité de réaction. La logique du « test & learn » peut ainsi être davantage assumée, avec l’échec potentiel qui en découle. C’est la seule façon d’acquérir de l’expérience et de la donnée sur les nouveaux aléas qui nous entourent et dont les assurés cherchent à se prémunir.

L’époque est passionnante pour l’assurance ! Jamais notre secteur n’a autant évolué, au rythme des nouveaux risques à appréhender et couvrir, des nouveaux services à proposer, des nouveaux entrants qui créent une saine émulation, pour le plus grand bénéfice des assurés. Bien plus que de représenter des menaces, tous ces changements représentent donc avant tout d’énormes opportunités d’évolution.

Par Philippe Mangematin

Que pensez-vous du sujet ?