Nicolas Gomart : “Une articulation à (ré)inventer sur les risques climatiques”

Nicolas Gomart est directeur général de Matmut.
Nicolas Gomart est directeur général de Matmut.

TRIBUNE – Nicolas Gomart, directeur général de Matmut, appelle à une meilleure articulation entre socialisation et mutualisation pour faire face aux risques climatiques. Cette tribune est publiée dans notre magazine sur le Bilan 2022 de l’assurance.

2022 a été une année exceptionnellement difficile sur le plan climatique. La pire depuis 1999, restée dans les mémoires, avec les épisodes « Lothar » et « Martin » de décembre.

Météo France a qualifié l’été 2022 « de tous les extrêmes ». Le printemps a été le 3e plus chaud depuis 1900 et le 3e plus sec depuis 1959. Evoquons aussi les tempêtes « Eunice » et « Franklin » de février, la tempête « Diego » d’avril. Ou encore les forts épisodes de grêle de la Pentecôte, de mi-juin et d’août.

Tous assureurs confondus, l’aléa climatique représente un coût de 8 milliards d’euros en 2022, soit le double de l’année précédente, sans compter le coût de la sécheresse qui pourrait se situer, selon les estimations, dans une fourchette de 2 à 3 milliards d’euros.
Conséquences sérieuses, également, pour les réassureurs, aujourd’hui sous tension, que ce soit via leur activité de réassurance directe ou sur le marché de la rétrocession.

Changement climatique, trajectoire préoccupante

Surtout, l’impact du dérèglement climatique est aujourd’hui une réalité. La tendance de fond et la trajectoire sont préoccupantes : phénomènes de sécheresse et de retrait-gonflement des sols argileux entrainant des dégâts sur les habitations, conséquences en termes d’inondations, avec le cumul de précipitations sur des sols secs… Sans oublier que les risques climatiques agissent également comme un déclencheur ou un amplificateur d’autres risques.

Alors que ce type « d’année noire », comme celle vécue en 2022, survenait tous les 50 ans par le passé, il nous faut désormais vivre avec une survenance tous les 10-15 ans.

Pour les assureurs dommages, les ingrédients du scénario catastrophe semblent réunis. Mais reconnaître les dangers, c’est commencer à les surmonter.

L’assurabilité de certaines zones n’est plus garantie

Certaines zones géographiques sont particulièrement exposées aux événements climatiques. Se pose dès lors la question de l’assurabilité de certains biens, voire du retrait pur et simple de ces secteurs.

Des solutions, pour ne pas arriver à cette extrémité, existent. Par exemple en regardant du côté du périmètre des garanties. Nous pourrions, techniquement, limiter les garanties de nos contrats. Je vais être direct, ce n’est, de mon point de vue, pas souhaitable. Nous n’avons pas vocation à devenir des « demi assureurs ».

Une autre piste, plus intéressante mais certainement pas suffisante, celle menant à la prévention. Elle fait partie de la chaîne de valeur du métier d’assureur et tout comme en matière environnementale le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas, la meilleure gestion de sinistre consiste déjà à éviter qu’il ne survienne.

A fond sur la prévention

Participer à la mise en place d’une stratégie nationale de prévention du risque sécheresse ou encore d’aménagement du territoire, mener des politiques plus individualisées de prévention et de pédagogie pour faire évoluer les comportements face aux risques climatiques… Les assureurs sont légitimes sur ces sujets et en la matière, la donnée apparaît comme un élément central qu’il nous faut mieux exploiter.

Troisième solution face à la hausse de la fréquence et des coûts, l’augmentation des cotisations. Avec le risque, encore plus prégnant face aux problématiques actuelles de pouvoir d’achat, dans le contexte de succession de crises, d’exclure du système assurantiel des pans entiers de populations. Une perspective aux antipodes de mes convictions mutualistes, bien entendu.

On le voit, chaque médaille a son revers. Au-delà des solutions « techniques » présentées ci-dessus, quelle posture les assureurs dommages doivent-ils adopter ?
Ce n’est pas un scoop, notamment dans les périodes de crises, les assureurs ont été accusés d’attentisme. D’être en retrait, par rapport aux sujets d’actualité et vis-à-vis de l’opinion publique. Comment devons-nous, collectivement, gérer la nouvelle donne climatique et y répondre ? Déjà, en ne subissant pas les choses. En n’étant pas en réaction mais bien dans une participation active au débat, dans une posture de propositions. Et ce, sans attendre les demandes des pouvoirs publics, ou pire, la montée de mécontentements chez nos concitoyens. Que les assureurs s’impliquent au maximum.

« Un assureur organise en mutualité une multitude d’assurés exposés à la réalisation de risques déterminés ». Au-delà de la définition formulée par le professeur et juriste de droit français Joseph Hémard (1876-1932), la situation climatique actuelle nous oblige, en tant qu’assureurs.

Cependant, l’équation de la nouvelle donne climatique est compliquée. Dans celle-ci, le paramètre le plus important est le nombre important de personnes personnellement exposées, ainsi que leurs biens. Il est de notre responsabilité – collective – de ne pas les exclure et de leur permettre d’être bien protégées, avec un niveau de cotisation acceptable.

La solution serait peut-être à chercher du côté d’une meilleure articulation entre socialisation et mutualisation du risque. J’entends par socialisation une présence renforcée des pouvoirs publics, via, par exemple, un fonds alimenté par l’ensemble des citoyens, car c’est bien de solidarité nationale dont il est ici question. Et par mutualisation du risque, je veux souligner le savoir-faire des assureurs, leur rôle de garde-fou face au risque de déresponsabilisation engendré par un nouveau système.

Enfin, faisons confiance à ce qui constitue un atout du système français et que jalousent nos confrères, hors de nos frontières : le régime Cat Nat, qui associe les pouvoirs publics et le secteur privé, fondé sur les principes d’universalité et de solidarité. Préservons-le, car il est protecteur pour nos concitoyens et gardons-nous de le vider de sa substance.

Bien sûr, travaillons à le faire évoluer, en concertation avec les pouvoirs publics, pour affronter une situation climatique dégradée, qui, encore une fois, nécessite le concours et l’engagement de tous.

Nicolas Gomart, directeur général de Matmut.

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