Marie-Laure Dreyfuss : "Retour aux fondamentaux sur les arrêts de travail"
TRIBUNE - Marie-Laure Dreyfuss, déléguée générale du CTIP, considère que les mesures de contrôle sur les arrêts de travail prévues dans la LFSS 2024 sont loin d’adresser le sujet dans toute sa complexité. Cette tribune est publiée dans notre magazine sur le Bilan 2023 de l’assurance.
Au moment où s’opère le bilan de 2023, force est de constater que la question des arrêts de travail a largement alimenté les débats. Et ce jusqu’à la LFSS pour 2024 qui comporte plusieurs mesures sur ce point. Des mesures de contrôle essentiellement, qui, à mon sens, sont loin d’adresser le sujet dans toute sa complexité.
Car la question de l’augmentation des arrêts de travail n’est pas réductible à des données chiffrées et à une vision budgétaire. Et surtout les données dont disposent les différents acteurs ne permettent pas aujourd’hui de poser l’indispensable diagnostic partagé sur les causes de la progression du nombre de jours où les Français ne sont pas en mesure d’aller travailler. Le chiffre qui a marqué les esprits, issu d’une étude menée par un des adhérents du CTIP, est celui d’un salarié sur deux ayant connu au moins un jour d’arrêt en 2022. Qu’est ce qui se cache derrière ce chiffre ? Une grosse fatigue ? Selon l’étude publiée fin août par l’IFOP, Diot Siaci et la Fondation Jean Jaurès, c’est une hypothèse à envisager sérieusement. Et il est vrai que de plus en plus de voix s’élèvent pour évoquer les contre-coups de la période Covid sur l’état de santé notamment mental de nos concitoyens.
Une augmentation tendancielle des arrêts
Si l’on veut bien prendre un peu de distance avec cette parenthèse 2020-2022 et le caractère exceptionnel des arrêts Covid – rappelons qu’il existait même des arrêts pour les parents d’enfants malades – la progression des arrêts de travail apparaît comme moins centrale que les interventions de Bruno Le Maire et Gabriel Attal au cœur de l’été ont laissé croire. Et d’ores et déjà, les premiers chiffres de l’assurance maladie pour 2023 laissent entrevoir ce que l’on ne va pas manquer de qualifier « d’embellie » voire même d’effets positifs des mesures de contrôle sur les médecins très prescripteurs. Au risque de ne plus s’interroger et de passer à côté de la vérité : il existe bien une augmentation tendancielle des arrêts.
Et cette augmentation doit retenir notre attention. Ne serait-ce que parce que toute notre protection sociale de base comme complémentaire a d’abord été construite autour de ce risque. Rappelons-nous que les premiers régimes professionnels, antérieurs à la Sécurité Sociale, se sont bâtis pour protéger les salariés qui se trouvaient, du fait de l’âge ou de la maladie, dans l’incapacité de travailler et donc de subvenir à leurs besoins. Si de plus en plus de nos concitoyens se trouvent dans cette incapacité à travailler, dans un pays moderne disposant d’un système social bien organisé et protecteur, il y a peut-être des raisons à chercher ailleurs que dans les chiffres. Et surtout, il y a surement des solutions à trouver autrement que dans les chiffres.
Le vieillissement en cause
Alors, il existe des causes évidentes. Et il n’est pas inutile de les rappeler, à commencer par la plus flagrante : l’accroissement de la population active et son vieillissement concomitant. Ainsi la population active, entre 2011 et 2021, est passée de 28,4 millions d’individus à 30,1 millions. Et elle va continuer à croître notamment du fait de l’arrivée des nouveaux entrants et, singulièrement, des enfants – nombreux – des années 2000. Et de l’augmentation du nombre de seniors en entreprise. Ce vieillissement a été mis en œuvre par tous les gouvernements depuis 2010 en retardant régulièrement l’âge de départ à la retraite. Le nombre de salariés plus âgés dans l’entreprise a ainsi progressé. Or, ceux-ci, lorsqu’ils s’arrêtent, le font sur un temps plus long et leur indemnisation pèse plus dans les équilibres des comptes. L’évolution est flagrante depuis 10 ans et la récente réforme, en repoussant de nouveau l’âge de départ va accentuer ce mouvement.
Autre cause de l’augmentation du poids des arrêts de travail : l’inflation salariale qui fait croître le poids de l’indemnisation. Ces facteurs négatifs sont toutefois à nuancer. Car, qui dit une plus grande population active dit aussi plus d’activité et plus de production de richesse, on ne peut donc que s’en réjouir. D’autant que, comme on l’a vu avec l’augmentation du nombre de personnes en emploi sur les deux dernières années, la masse salariale progresse, créant ainsi de nouvelles recettes pour les différents acteurs.
Un besoin d'analyse
Au-delà, ces facteurs explicatifs sur la population active me semblent insuffisants à comprendre pourquoi, année après année, le nombre d’arrêts de travail progresse. Et c’est là, qu’il y a un véritable travail à mener par tous les acteurs. D’abord par l’Assurance maladie qui, aujourd’hui, documente beaucoup moins bien les arrêts de travail pour maladie que ceux pour accident de travail et maladies professionnelles. Mais aussi par les OCAM qui disposent aussi de données. Et bien sûr par les entreprises dont on oublie qu’elles participent aussi au financement de l’incapacité via la mensualisation. D’ailleurs, plusieurs des institutions de prévoyance les aident à récolter ces données. Le partage de l’ensemble des données et leur analyse devraient être notre priorité commune : AMO, AMC et entreprises.
Pourquoi ? Pour qu’enfin, on voit clair dans ce sujet et que l’on puisse vraiment l’adresser dans toute sa complexité et agir non pas en curatif par des contrôles des salariés et/ou des médecins comme le prévoit la LFSS 2024 mais en préventif. Que l’on puisse, enfin, déployer à grande échelle des actions pour éviter les arrêts, permettre un retour harmonieux en cas d’arrêt prolongé et ainsi reconstituer les équilibres des régimes. Une condition indispensable pour que notre protection sociale, à laquelle nous sommes tous attachés, continue à permettre à ceux d’entre nous qui ne peuvent pas travailler puissent conserver leurs revenus et leur dignité.
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