Lucie : “Le présentéisme est une hérésie pour l’équilibre de vie”

Témoignage de Lucie dans la série Paroles de femmes dans l'assurance

SÉRIE DE TÉMOIGNAGES : Quand Lucie* demande une place dans le comité exécutif, on lui répond : « Si on avait su que c’était un job important, on l’aurait proposé à des amis ». Elle réussit quand-même à obtenir son siège, mais elle met du temps à se faire accepter.

Les membres du comex, tous des hommes, avaient « un mode de fonctionnement ancestral. Je les appelais ‘les velus’. Ils n’hésitaient pas à me dire : ‘qu’est-ce que t’as, t’as tes règles ?’ J’étais enceinte et ils fumaient comme des camions en salle de réunion », se souvient-elle. Après le codir, ils partaient déjeuner entre garçons. « J’ai imposé ma présence. Je leur ai montré que je savais boire et choisir un vin moi-même », lance-t-elle. « Intégrer ce cercle masculin impliquait d’assister à des discussions scabreuses sur des femmes avec des règles, des viols, des histoires pas drôles », se remémore Lucie. Pour se faire accepter, Lucie sort, s’enferme dans sa carapace, ravale sa langue, sourit jaune. C’est le prix à payer pour faire partie du club.

Bureau réaffecté en mon absence

Un matin, en arrivant au travail, elle découvre que son bureau est occupé par un autre directeur. « Ils ont décidé de réaffecter mon bureau en mon absence, lors d’un pot à 19h », peste-t-elle. Lucie a fait toute sa carrière à 4/5, mais ses différents patrons lui ont toujours demandé de le cacher. « Je suis une dirigeante pas chère car j’ai sacrifié 20% de mon salaire pour passer du temps avec mes enfants le mercredi », sourit-elle.

Personne ne m’a trouvé dilettante

Le présentéisme est un des combats de Lucie, qui a toujours travaillé de 7h à 18h. Un jour, un directeur lui demande de rester pour une conférence téléphonique avec un client. « Je lui ai répondu que je serai là le lendemain matin de bonne heure pour l’aider si besoin mais que je devais partir à 18h. Toutes mes copines seraient restées mais je me suis dit que si j’acceptais de rester un jour, cela créerait un précédent pour les suivants », raconte Lucie. Pourtant, en partant à 18h, personne ne l’a trouvée dilettante. « Mes équipes disaient même que ce n’était pas si mal que je sois absente le mercredi. Cela leur faisait une respiration », soutient Lucie.

« Beaucoup de femmes pensent que travailler jusqu’à tard est nécessaire dans certaines fonctions alors qu’à mon avis c’est une hérésie pour l’équilibre de vie. Si on mettait plus d’efficacité sur les réunions et on raccourcissait le déjeuner, nous pourrions toutes partir à 18h30 », pense Lucie. « Combien de réunions se font sans compte-rendu ? On enfile des perles, on fait de la figuration. Et à 18h, on va fumer une clope et c’est là que les décisions se prennent », regrette Lucie.

Le combat contre le présentéisme est loin d’être gagné parce qu’il y a encore une génération de femmes nées dans les années 1960, qui ont beaucoup ramé pour y arriver. « Elles pensent qu’il n’y a pas de raison que ce ne soit pas pareil pour les autres », s’indigne Lucie.

Sur son échelle des priorités, les cocktails sont tout en bas. Lucie préfère avoir une vie personnelle, dîner avec ses enfants et rester dans la vraie vie. Elle se souvient encore des dirigeants de son entreprise qui arrivaient le matin en voiture, prenaient un ascenseur privé et ne mangeaient jamais à la cantine.

Un mec a récolté les bénéfices de mon travail

Parmi les moments importants de sa carrière, Lucie a mené de front un projet stratégique de grande ampleur. Au moment d’aller le lancer avec le partenaire, on lui dit : « Si tu veux passer la main… » ou « si vous voulez, Lucie, j’y vais à votre place ». Cela l’a profondément agacée. « C’est tellement classique : la fille fait le boulot et le garçon récolte les bénéfices. J’ai nettoyé, j’ai fait le travail ingrat et une fois que c’était fait, un mec l’a récupéré », s’irrite-t-elle.

Soit tu te comportes comme un homme, soit tu pleures

Lucie considère que pour réussir, les femmes ont deux possibilités. Soit elles adoptent une posture masculine, avec une grande gueule et du répondant ; soit elles jouent sur la fibre de la fragilité « Parfois, je me suis dit que je devais apprendre à pleurer mais je n’y suis jamais arrivée », rigole Lucie. « Être face à une femme fragile conforte certains hommes mais j’ai constaté que les femmes qui pleurent ont toujours un homme au-dessus d’elles au comex ».

Le côté Jeanne d’Arc

Lucie accepte un poste difficile, conçu sur mesure pour elle, avec un objectif de transformation très ambitieux. Pendant 5 ans, elle abat une charge de travail titanesque, bosse « comme une folle » jusqu’au jour où on lui annonce qu’elle va être supervisée par un homme en fin de carrière. Elle refuse et claque la porte. « Pour les garçons, ce n’est qu’un job alors que nous, les femmes, nous avons un côté Jeanne d’Arc, la volonté d’accomplir quelque chose », remarque-t-elle.

Lucie enchaîne : « C’est comme si mes compétences étaient valorisées quand c’est compliqué mais devenaient de plus en plus encombrantes quand cela devient ‘business as usual’. Mon patron pensait peut-être : ‘Je n’ai plus besoin d’elle maintenant, comme elle est un peu chiante, je peux m’en passer’ », analyse-t-elle, avec le recul.

Aventure entrepreneuriale

Sans emploi, elle cherche un nouveau poste de direction. Elle passe plusieurs entretiens pour un poste qu’elle convoite spécialement. « Je m’attendais à ce que l’on me demande : ‘Il faudrait que tu dises moins ce que tu penses’ mais on m’a réclamé : ‘il faudrait que tu sois moins efficace’. Ils avaient peur que je remue en interne, que je transforme trop », s’exclame-t-elle. « Je ne pense pas être une bulldozer, pourtant, dans les moments difficiles, je suis plus loyale vis-à-vis de mes équipes et clients que vis-à-vis de ma direction », assume-t-elle. « Si l’entreprise veut l’image de ce que je représente mais pas les actes, cela ne m’intéresse pas », déclare Lucie.

Face aux directives aberrantes, « les femmes vont exprimer leur opposition mais si une décision est prise, elles vont l’exécuter tandis que les hommes vont acquiescer et ne pas la mettre en œuvre », observe Lucie.

Désabusée, elle se lance dans une aventure entrepreneuriale. « Autant être efficace, autant l’être pour soi-même », décrète Lucie. « Je risque de me planter mais le risque n’est pas plus élevé que de prendre un poste de dirigeante », relativise-t-elle. Depuis qu’elle s’est lancée, elle revoit d’anciens collègues qui lui recommandent : « Tu devrais faire ceci », « Tu devrais faire cela ». Des « conseils de paternalistes » insupportables pour Lucie.

*Le prénom a été modifié

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