S. Guiheneuf (Safran) : “Nous nous imposons des calculs de résilience et de performance”

Sylvain Guiheneuf Safran
Sylvain Guiheneuf est SVP Group Risk Management & Insurance de Safran

INTERVIEW – Pour News Assurances Pro, Sylvain Guiheneuf, SVP Group Risk Management & Insurance de Safran, explique comment est calculé la V@R (Value at Risk) au sein du groupe.

Comment s’organise votre démarche d’identification des risques au sein du groupe Safran ?

Nous avons adopté une démarche qui consiste à identifier et caractériser les risques pour leur associer ensuite des plans de traitement en suivant une boucle montante puis descendante (« bottom-up » et « top-down »).

Pour ce faire, nous nous appuyons d’abord sur un risk manager dans chacune des entités de « rang1 » du Groupe – c’est à dire chacune de ses principales filiales (Safran Helicopter Engines, Safran Aircraft Engines, Safran Electronics & Defense, etc.) – qui va piloter l’ERM du groupe sur son périmètre.

Tous les 6 mois, cette cartographie des risques est revue et validée par le CEO de chaque entité qui engage donc sa responsabilité sur l’appréciation opérationnelle de ses risques et sur les plans d’action à y appliquer en fonctions de ses ressources.

Après avoir fait le tour avec chaque filiale, nous menons une revue des risques consolidée puis proposons une cartographie globale du risque à sa valeur actuelle, mais aussi une cartographie globale projetée sur une cible. L’ensemble est débattu en comité des risques Groupe, puis validé par le CEO de Safran qui entérine la version ultime de la cartographie consolidée et les plans d’action associés.

Ce processus exigeant est hérité des méthodes de certification des principaux produits appliquées dans l’industrie aéronautique pour garantir la sécurité des vols.

Comment calculez-vous ensuite la V@R (Value at Risk) ?

Nous prenons nos deux cartographies (actuelle et projetée) lesquelles sont organisées selon trois axes :
– Un premier sur la probabilité d’occurrence du risque ou sur une échelle de temps
– Un deuxième sur l’impact potentiel du risque (en termes d’image, d’éthique, de besoin client, de savoir-faire, de valeur financière, etc), la priorité absolue étant la protection de l’humain
– Un troisième sur notre niveau de maîtrise de nos risques : faible, partiel, élevé ou maximum*.

Cela nous permet d’attribuer une valeur empirique de départ (comme une valeur à dire d’expert) à chaque risque.
Nous soumettons ensuite ces valeurs à des calculs de pertes potentielles, combinant l’utilisation de loi de Poisson, LogNormale et Monte-Carlo. Cela nous permet de définir un profil de pertes potentielles associé à chaque risque ou chaque portefeuille de risques sur un horizon de temps ramené à un exercice social.

Notre approche est finalement méthodologiquement similaire à celles des institutions financières. Et nous nous imposons des calculs de résilience et de performance.
Ainsi, les fonds propres du Groupe doivent excéder 95% du cumul de nos pertes potentielles telles qu’elles pourraient résulter de nos activités selon ces calculs. Par ailleurs, nous mesurons notre performance en comparant la génération de « cash flow » de l’année à venir, laquelle doit également être supérieure à la valeur médiane du même portefeuille de risques.

Depuis quand avez-vous mis en place cette méthode au sein du groupe ?

Ce dispositif est en place depuis un peu plus de trois ans. Nous avons d’abord demandé à nos filiales si elles étaient prêtes à aller plus loin dans une appréciation plus précise de leurs risques. Il peut toujours apparaître des biais dans la démarche d’évaluation des risques à l’instar de cette tendance à la négociation d’un positionnement élevé d’un risque pour mieux négocier l’allocation de budgets plus importants pour le traiter.

Notre méthode de calcul contribue à limiter ces biais et permet d’affiner les estimations réalisées à « dires d’experts ». De même, les ressources à allouer aux plans de traitement se précisent-elles.

Cette meilleure lisibilité des risques facilite nos échanges avec les courtiers et les assureurs. Notre démarche alimente également une stratégie de mutualisation de certains risques de fréquence que nous réassurons grâce à une captive Groupe. Nous ciblons ainsi plus précisément notre risque d’intensité pour mieux le transférer au marché de l’assurance et préserver nos fonds propres. C’est une approche qui facilite la convergence d’intérêts entre l’assuré et les assureurs, notamment sur ce marché de niche qu’est la responsabilité civile aéronautique et spatiale.

Comment est composée votre équipe pour piloter ce travail ?

Au niveau corporate, la direction des risques et assurances est composée d’une dizaine de personnes aux expertises spécifiques, variées et complémentaires.

Il y a ensuite un point relai dans chacune des filiales principales avec au moins un risk manager et un correspondant assurance dédiés. Eux-mêmes déploient et pilotent ensuite la même organisation en cascade dans leurs périmètres respectifs et cela pour couvrir la totalité de l’organisation du Groupe.
Au final, sur les presque 100 000 salariés que compte le groupe actuellement, environ 200 personnes sont directement impliquées dans cette méthodologie.

Échangez-vous avec vos confrères RM sur votre méthode ?

Il y a sur le marché des démarches et dispositifs comparables – notamment chez nos confrères de l’aéronautique, notamment Thalès et ’Airbus avec qui nous en discutons – mais avec des méthodologies appliquées à la valorisation des risques assurables qui sont différentes.

Je suis également en contact avec les risk managers d’autres industries comme Renault, Alstom ou Air Liquide avec qui nous échangeons régulièrement. J’ai également engagé récemment un partage de cette méthodologie avec le comité scientifique de l’Amrae.

En tout état de cause, ce complément méthodologique de valorisation de nos risques nous permet in fine de gagner en expertise, améliore notre communication, la précision de nos modélisations et donc alimente efficacement nos discussions avec le marché de l’assurance. La mesure de résilience par exemple peut intéresser plus largement l’ensemble des marchés financiers.

*
– Faible (scénario de risques non stabilisés)
– Partiel (premiers scénarios, plans d’action en cours d’élaboration)
– Élevé (scénarios établis, plans d’actions en place)
– Maximum (scénarios et plans d’actions en place, efficients et potentiellement récurrents)

Que pensez-vous du sujet ?