Innover pour quoi faire ?

Michel Revest

Innover pour : Se différencier ? Etre meilleur compétiteur ? Augmenter ses parts de marché ? Gagner des clients ? Les fidéliser ?  Améliorer sa solvabilité ? Faire des bénéfices plus importants ? Certainement, mais c’est sans doute insuffisant pour définir ce que l’on attend de l’Assurance.

Il est nécessaire de savoir pourquoi innover, avant  de créer  et mettre en place les modalités de la gestion de l’innovation, adaptées aux cultures de chaque acteur de l’assurance.
La question se pose  de la place de l’Assurance, non dans la seule économie, mais dans la Société.

Du rôle social de l’Assurance et de la nécessité de l’innovation.
L’Assurance n’est pas une activité économique banalisée, une activité parmi d’autres.
Pour faire face aux défis de nos sociétés, nos civilisations (climat, catnat, vieillissement, santé, « cyber-sécurité », numérisation  -industrie 4.0, IA, robotisation, nouveaux process –  bio et nano technologies, surpopulation, …l’Assurance sera une ressource, la ressource nécessaire.
Elle naît avec les Sociétés ; non seulement elle se développe avec elle, mais elle est une condition de son développement.
Rappelons-nous de l’assurance des navires pour le commerce de Venise ou de Gênes : ce qui était une innovation (partage des risques de l’envoi des nefs vénitiennes) a crée la richesse de Venise. Sans partage, Venise aurait équipé cinq fois moins  de navires.

L’assurance naît et mourra avec les civilisations humaines.
Elle pèse  entre une petite moitié et  un tiers du PIB dans les pays développés et croit fortement dans les pays en voie de développement. En France, 75 % sont des assurances sociales et un quart seulement est du domaine  privé (toutes catégories confondues).
Nos Sociétés sont des Sociétés du risque. Elles le seront de plus en plus.
En France, les mécanismes assurantiels de mutualisation du risque consomment près de 38 % du PIB. Les assureurs en gèrent un peu moins de 4 %. Si on ôte la part gérée par l’Etat, les assureurs assument 7 à 8 % des risques en France (santé, risque de survie, donc la retraite, dépendance, assurances de biens et de responsabilité, prévoyance,…).

Ce secteur qui nourrit 150.000 salariés, représente 200.000 personnes devra mieux faire en matière de risque pour conforter ses positions.

Innover sera d’abord savoir assurer les risques de la Société pour qu’elle puisse surmonter ses défis.
Retrouver son métier de base et assumer sa vraie fonction sociale, la solidarité et la mutualisation pour que les Sociétés puissent exister et se développer. Innover pour assumer sa fonction sociale. Innover, c’est d’abord  de mieux exercer son métier d’assureur, celui de gestionnaire de risques, en intégrant l’ensemble des dimensions (psychologique, émotionnelle, financière, environnementale,…). Celui de prendre en charge les décès, la santé et ses maladies et contraintes, les accidents de la vie (incapacité, invalidité, chômage,..), la dépendance, les catastrophes naturelles, les conséquences du terrorisme, les désordres climatiques et écologiques, les accidents technologiques en séries, …

Il y a aura plus de risques, plus de matière assurable si les assureurs assument leur fonction sociale de mutualisation.
L’inventaire des cas d’usage qui sont ceux des prestations d’assurance de référence, « désilotées », fédérant les garanties et services en les personnalisant, en justifiant les prestations par des besoins identifiés préalablement, tels que les services de prévention individualisés.

S’ils ne le font pas, d’autres le feront. Gafas, Natus et autres.

L’ IA, blockchain, la digitalisation des process sont les outils pour assumer cette fonction sociale et demain l’informatique quantique qui va projeter l’IA dans une nouvelle dimension et permettra de résoudre les problématiques des risques, de résoudre les difficultés du mur de risques à venir et que l’Assurance permettra aux Sociétés de franchir.
Le rôle de l’assurance sera la condition pour que nos sociétés puissent faire face à leurs défis, de les rendre plus performantes, mieux à nos civilisations de mieux résister, de se consolider, d’être meilleures.

De nouvelles formes de mutualisation seront possibles pour être plus performants, mais surtout pour que la mutualisation, nécessaire pour nos sociétés, soit plus efficace. Pour que de nouvelles formes d’assurance émergent qui rendent possible l’assurance de nouveaux risques qui ne le seraient pas sans elle (« cyber-sécurité » ?).

Alors que les assureurs ont laissé en friche des pans entiers de risques (rentes viagères), l’innovation, les nouvelles formes d’assurance  apportent les solutions pour donner les garanties d’assurance aux nouveaux comportements, aux nouveaux usages sociaux, aux nouvelles structures (économie positive, circulaire, écologies diverses) à l’économie de l’utilisation, du partage.

Derrière l’assurance, il  y a des conceptions de la Société.
Il faut se poser la question de savoir si elles sont aujourd’hui pertinentes, si les assureurs analysent correctement les évolutions sociétales.
Il faudra analyser, faire de la sociologie de l’Assurance, de l’ « ethno-assurance » ?
Ce qui n’est pas fait à ce jour…

Pour comprendre la nature de l’Assurance dans les Sociétés, il faut aller plus encore plus loin.
L’assurance s’inscrit dans le temps ; les assureurs sont dépositaires du temps dans nos économies, quelles qu’en soient les formes.
Nos Sociétés, nos civilisations ont trois formes de conception du temps.
Comprendre nos Sociétés, c’est comprendre la dimension du temps, son rapport au temps ; il en va de même pour l’assurance.
Les sociétés d’assurance subissent une contradiction qui peut être fatale, celle d’être gérées à court terme, alors qu’elles sont dépositaire du temps long des Sociétés.
C’est le vrai sujet pour l’Assurance, derrière les façades des plans et des stratégies des assureurs. Ces conceptions imprègnent nos sociétés et donc nos Sociétés.

Trois conceptions du temps et des sociétés qui conditionnent l’activité de l’assurance.

a) Celle du temps immédiat, du présent. Le temps des religions où les sociétés attendent les sauveurs, où le salut vient de(s)  Dieu(s), et non de l’Humanité. Où l’homme n’a pas d’avenir, puisqu’il doit être sauvé de façon imminente ; où la nature est un jardin à sa disposition. C’est le temps de l’essentiel de nos Sociétés aujourd’hui encore. Il explique nos difficultés (rapport à l’écologie, à la nature, le fatalisme, l’absence de prise en charge de l’Humanité par elle-même).  Un temps immédiat qui est celui des dieux plus que de l’Humanité et que pourtant l’Humanité vit aujourd’hui. Le temps des ROI, du court terme, de la finance. Un temps en centaines d’années.

b) Le temps humain. Les temps nouveaux pour lesquels l’Homme est l’horizon unique, la finalité du monde. Les sociétés et ses technologies compensent, améliorent, augmentent les capacités humaines. Les objectifs de la Société sont de servir l’homme. Nature, et monde doivent servir l’Humanité qui se veut éternelle ; même l’homme ne veut plus mourir : il veut vivre individuellement éternellement ; il devient la fin de tout ; c’est le religion nouvelle du transhumanisme. Ce temps, celui de l’espèce humaine, est celui des Gafas et Natus. C’est ce qui fait la force des nouvelles entreprises utilisant le numérique, la clé de leur succès, être plus humain que ce qui a existé, et conforter notre espèce jusqu’à vouloir la rendre éternelle, une Humanité qui ne se pose plus la question de sa fin. Ces nouveaux acteurs de la société deviendront des acteurs de l’Assurance, nécessaire pour pouvoir gérer le temps ; cela semble une certitude. Un temps réel qui se mesurerait en dizaines de milliers d’années ? Mais en réalité, pourquoi aller sur Mars puisque l’homme aura disparu depuis longtemps avant que la terre devienne inhabitable ?

c) Le temps de demain, celui de la Terre : le temps de l’Assurance ? Celui de l’espèce humaine mortelle qui doit préparer ce qui lui succédera, une autre espèce différente ou la même supérieure, en lui ménageant les conditions de son existence, en la préparant . Le temps de la terre, dont l’homme aura été une étape de plus ou moins 200.000 années.
Selon l’acception même de la notion de temps, les réponses sont très différentes et elles conditionnent, imprègnent  ce que font ou doivent être les assureurs.

Michel REVEST,
Expert Assurance

Membre du Comité Scientifique du CercleLab

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