Tribune : Le rôle des indicateurs de risque dans le système ERM de l’assureur

Cette tribune, qui traite des indicateurs de risques, a été rédigée par Tristan Palerm, directeur métier Actuariat conseil chez Optimind Winter, société de conseil en actuariat et gestion des risques.

A l’heure où les travaux relatifs à l’ORSA prennent une importance considérable dans la liste des chantiers menés en 2014 par les organismes assureurs, les questions liées à la gestion des risques se retrouvent naturellement au centre des préoccupations. L’ACPR, devançant les attentes de l’EIOPA, a demandé au secteur de l’assurance de fournir, pour la fin du mois de septembre, une première édition du rapport sur l’ORSA. Certains acteurs sont déjà armés pour répondre à cette demande, quelques-uns ont même déjà une ou plusieurs années de recul sur le processus. La plupart doivent néanmoins initier la construction d’un processus dont la portée est majeure dans leur fonctionnement.

Le processus de gestion des risques, selon les principes de l’ERM (Enterprise Risk Management) aura pour objectif d’identifier, de mesurer, de traiter et de suivre les risques auxquels l’entreprise s’expose. Le fonctionnement de ce processus suppose de disposer d’informations sélectionnées et traitées de façon à favoriser l’efficacité des différentes étapes : c’est ce que l’on appelle les indicateurs de risques (on parlera en anglais de KRI, Key Risk Indicators).

Bien entendu, résumer l’ORSA et la gestion des risques à des indicateurs serait une erreur. Néanmoins l’instauration d’un dispositif de gestion des risques conduit à choisir des indicateurs de risques et de performance qui permettront au management de suivre et de piloter la situation de l’entité. Ce choix est d’autant plus crucial que les indicateurs retenus ne pourront pas être remis en cause à chaque nouvel exercice : un suivi efficace devra naturellement s’appuyer sur la construction d’un historique !

Un indicateur de risque, qu’est-ce que c’est ?

L’indicateur de risque peut prendre des formes diverses, de la plus simple à la plus complexe. Sur des portefeuilles d’assurance non vie par exemple, les ratios de sinistralité seront souvent ajoutés à la gamme des indicateurs de risque suivis par l’assureur : difficile de faire plus simple. A l’autre extrémité du spectre, bon nombre d’assureurs souhaitent réaliser un suivi de la valeur apportée par la production nouvelle (on parle en général de New Business Margin), qui s’appuie sur des résultats de projections complexes.

L’indicateur choisi pourra également être observé à un niveau de granularité très fin ou bien à un niveau extrêmement agrégé, selon les besoins.

Choisir les indicateurs de risque

Cette grande variété de situations illustre bien quelques règles qui doivent régir le choix et la mise en place des indicateurs au sein de la société d’assurance :

– Des besoins dictés par l’appétence au risque de l’entreprise : quelles dimensions le management va-t-il privilégier pour le pilotage de son activité ? En général, les dimensions de solvabilité, de valeur et de résultats sont privilégiées dans la définition de l’appétence au risque des assureurs. Mais cette sélection est néanmoins propre à chaque organisme et les dimensions retenues peuvent donc varier.

La dimension de solvabilité est quasiment inévitable et l’indicateur le plus évident, presque systématiquement retenu, concerne la couverture des exigences de capital. Son choix relève d’autant plus de l’évidence qu’il est mentionné explicitement dans les textes relatifs à l’ORSA comme une des composantes incontournables de l’exercice. Pour autant, interpréter, suivre et piloter cet indicateur n’a rien d’aisé :
– la nature même du SCR en fait une mesure de solidité économique à court terme
– la mesure réalisée à l’instant t=0 ne permet pas d’aborder efficacement les risques liés à la mise en place d’un plan de développement : l’approche prospective est incontournable (elle est demandée dans l’ORSA) et avec elle, son cortège de questions de modélisation
-opérationnellement, le calcul régulier des exigences de capital n’est en aucun cas acquis à l’heure actuelle au sein de la plupart des organismes d’assurance

Par ailleurs, il serait très risqué de se limiter à cette seule dimension de solvabilité. Pour dire les choses autrement, un assureur pourrait très bien s’éteindre en couvrant parfaitement les exigences de capital auxquelles il est soumis. D’où la nécessité de compléter l’approche par d’autres indicateurs.

– Des indicateurs différents pour des destinataires différents : les porteurs des risques de souscription auront besoin d’indicateurs permettant de qualifier l’évolution du portefeuille (chiffre d’affaire ou collecte nette, évolution des taux garantis sur le portefeuille …) et les suivront souvent à une maille assez fine. Les responsables des risques de marché s’attacheront à d’autres indicateurs spécifiques (volatilité des portefeuilles d’actions, notation des titres obligataires), également avec un détail important. A l’inverse, les reportings transmis à l’organe décisionnaire de l’assureur s’appuieront généralement sur des indicateurs beaucoup plus agrégés et génériques. Pour le responsable de la Gestion des Risques, il s’agit d’identifier les parties prenantes, les porteurs des différents risques et de définir des indicateurs propres à chaque partie prenante, en maintenant une cohérence d’ensemble.

La mise en place d’indicateurs de risque nécessite donc de répondre à plusieurs questions, découlant en fait des étapes naturelles du processus de gestion des risques. Les indicateurs retenus doivent :

– donner une information cohérente avec les dimensions de l’appétence au risque de l’assureur
– fournir une information exploitable à chaque intervenant du dispositif, avec un niveau de granularité compatible avec le rôle de l’intervenant
– permettre d’identifier une situation nécessitant une alerte ou une action : dépassement d’une limite de risque, déviation significative du profil de risque …
– matérialiser l’impact des actions correctrices dans le cadre du suivi régulier du portefeuille

La démarche n’est en elle-même pas nouvelle et dans bien des cas, les indicateurs retenus existent déjà et font l’objet d’un suivi. Mais une fois intégrés dans le dispositif de gestion des risques découlant de Solvabilité 2, leur traduction quantitative pourra être différente. Leur production et leur exploitation seront probablement rationalisées car encadrées par des politiques écrites plus précises que par le passé. En tout état de cause, l’intégration de ces indicateurs dans un processus formalisé et itératif participe d’une mise en adéquation du fonctionnement de l’entreprise d’assurance avec les préceptes de l’Enterprise Risk Management. En cela, leur choix revêt une importance particulière pour le gestionnaire de risques.

Lire la précédente tribune de Tristan Palerm : La mise en œuvre de processus industriels pour Solvabilité II

Tristan Palerm, Optimind Winter

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