Portrait : Ulrike Decoene, tour de contrôle de Thomas Buberl

Ulrike Decoene deviunet directrice communication du groupe Axa

À l’occasion de l’entrée d’Ulrike Decoene au comité de direction du groupe Axa, News Assurances Pro republie le portrait de la directrice de la communication, de la marque et du développement durable du groupe Axa, paru en 2019. 

PORTRAIT – Du haut de son 1,80 mètre, Ulrike Decoene, directrice de cabinet de Thomas Buberl veille à ce que la machine du groupe Axa tourne rond. Son profil international, son franc-parler et son combat pour la parité ont certainement séduit le patron du groupe français.

Ulrike Decoene offre un regard confiant et un sourire franc. Elle détaille avec éloquence son parcours, ses relations avec Thomas Buberl, son combat pour la parité. Quand on l’écoute, on se laisse distraire par ses boucles d’oreille en forme de fleur, rouge vif, mais on est vite rattrapé par ses yeux d’un vert profond, déterminés jusqu’au bout.

Née de père Belge et de mère Allemande, Ulrike Decoene a grandi en Espagne et suivi ses études au lycée français de Barcelone. Cette polyglotte est arrivée à Paris pour suivre une école préparatoire hypokhâgne qui l’a amenée sur les bancs de l’École Normale. Son sujet de thèse, « la figure du père dans l’Espagne post-franquiste à travers la littérature », avait déjà des accents féministes. « A la différence de beaucoup d’hommes, je n’ai pas été poussée par mes parents pour être la meilleure et faire des grandes écoles. Je me suis forgée une ambition toute seule, et cela m’a donné une forme de liberté. Je n’aimerais pas que les femmes se calent sur une version virile de leadership mais qu’on puisse apporter une forme d’acceptation de la vulnérabilité. Mon rêve serait que les hommes adoptent certains traits du leadership féminin, plus émotionnel, plus vulnérable », partage-t-elle.

La plume de Villepin

Diplôme en poche, elle débute en tant qu’enseignante mais elle bifurque vite vers d’horizons plus palpitants. Un camarade de l’ENA, Antonin Baudry, plus connu comme le scénariste de la BD Quai d’Orsay, lui propose d’écrire des notes de synthèse pour Dominique de Villepin. Quand un poste se libère au sein du cabinet, elle se met en disponibilité pour se lancer dans l’aventure politique. Pendant 5 ans, au ministère de l’Intérieur, puis à Matignon, elle écrit et réécrit ses discours. « En politique, le discours c’est le moment de cristallisation. La valeur que Villepin accordait à cela était parfois un peu démesurée. Le moindre discours, il fallait le réécrire. J’avais l’impression qu’avant la version 16, il ne regardait pas, honnêtement », confie-t-elle.

Ce sont cinq années d’adrénaline permanente et de formation intense, « à résister au stress, à capter les signaux faibles ». « Ce qui m’a plu c’est d’être au cœur du réacteur, d’observer tout cet écosystème, de participer aux réunions de relecture tard le soir, avec les membres du cabinet », explique-t-elle. Elle était la clé de voute de cette organisation où sa valeur ajoutée était « le sens de la mise en cohérence », apprise au cours de ses études de Lettres.

L’arrivée dans l’assurance

Après cinq ans trépidants et l’affaire Clearstream, Ulrike se cherche une sortie. Elle écrit à des chasseurs de tête pour trouver un poste dans le secteur privé. Elle a 32 ans quand elle rejoint Axa IM comme directrice de la communication interne et des relations presse, quelques mois avant la crise des subprimes. Elle fait ses armes dans le privé et le secteur financier, à la tête d’une d’une équipe de 15 personnes. Trois ans plus tard, elle a envie de se rapprocher du cœur de métier du groupe et de sauter le pas vers l’international. Elle s’installe à Madrid pour prendre la direction de la communication et des affaires publiques d’une vaste région (Espagne, Portugal, Italie, Amérique Latine, Afrique et Turquie). « Je venais d’avoir ma fille. J’ai donc pu l’amener en Espagne, et on a passé 5 ans à Madrid »

Ensuite, le moment est venu de faire la synthèse entre les différentes vies : académique, institutionnelle et d’entreprise. Elle est nommée directrice de la Fondation Axa pour la Recherche, une expérience qui a été écourtée à un an et demi, suite à l’arrivée de Thomas Buberl à la tête du groupe.

Devenir la directrice de cabinet de Thomas Buberl n’a pas été automatique pour elle. « Je reste plutôt longtemps dans les postes. J’avais engagé une transformation profonde avec les équipes de la Fondation Axa pour la Recherche… », dit-elle. Ulrike n’est pas prête à abandonner son poste, mais on lui dit « t’es faite pour ce job, il y a un nouveau CEO, il a 40 ans, il n’est pas Français, on est au moment du climax de la transformation du monde de l’assurance », rapporte-t-elle. « Je cochais pas mal de cases, mon expérience en politique, le côté comm’ pour le faire connaître, je connais beaucoup de gens… Car c’est un poste où il faut être bien câblée. Il faut savoir qui prévenir, qui mettre en relation avec qui », justifie-t-elle.

Relation fluide avec Thomas Buberl

Avec Thomas Buberl, le courant est tout de suite passé. De la même génération, ils partagent en plus le fait de ne pas être « de vrais Allemands ». Ces dernières années, le patron d’Axa a travaillé plus en dehors de l’Allemagne que dans son propre pays. Elle aime avoir une liberté de ton et travailler pour quelqu’un qui ne se soucie pas des rapports hiérarchiques, ni des conventions. « Je n’ai pas besoin de travestir ma pensée ni la façon de dire les choses pour être entendue par lui. Je suis assez spontanée, brute de décoffrage, je dis les choses avec les tripes, j’ai un sentiment de la justice… Je trouve bien qu’il y ait de plus en plus de managers qui apprécient les personnalités comme ça », considère-t-elle.

Elle accepte volontiers le rôle de chef d’orchestre, mais à condition de pouvoir tenir la baguette. « Je facilite, je suis derrière. Je vois tous les sujets, j’ai la vision globale, j’organise les discussions qui sont abordées au comex, les réunions du top 40… J’essaie que tout cela soit cohérent et que personne ne soit surpris de rien. J’essaie de faire en sorte qu’entre ce que lui veut faire, son quotidien, sa parole et les décisions stratégiques qu’il doit prendre, tout soit cohérent “, résume-t-elle.

Thomas Buberl consacre un tiers de son temps à la gestion des talents. Il a contrarié Ulrike un jour quand il a décidé de bousculer complètement son agenda pour traverser la planète afin d’aller à la rencontre de Gordon Watson, qui deviendra par la suite directeur général Asie du groupe Axa. Pour justifier ce voyage, Thomas lui a dit qu’aujourd’hui, un CEO devrait être un « talent magnet », tant la guerre des talents est dure. « Pour lui, ce qui compte c’est ce que tu apportes, quelle est ton ouverture d’esprit ? Quelle est ton énergie et ta force de conviction ? Es-tu assez humble et capable d’apprendre ? », affirme-t-elle.

Dans les premiers mois de collaboration, « Thomas m’a demandé d’arrêter de m’excuser. Il m’a montré que c’était une façon de me protéger. Je viens de la communication, et j’avais peur d’intervenir sur les sujets techniques, sur les relations avec les investisseurs, etc. ». Débarrassée de cette habitude très féminine, Ulrike a appris à s’affirmer face une audience très masculine.

Ouvert sur le monde

Depuis son arrivée en 2016, la famille Axa a dû s’habituer aux manières décomplexées de Thomas Buberl. Le nouveau patron aime échanger 5 minutes avec les équipes pour analyser un sujet plutôt que de se farcir une analyse de 100 pages. C’est un fan d’innovation et attribue une forte valeur ajoutée à la disruption. Son obsession est : « Comment peut-on faire autrement ? » Ulrike explique qu’il a besoin de se nourrir à l’extérieur pour sentir le pouls de la société, comprendre les tendances : « Il passe un tiers de son temps avec des personnes externes. Il a par exemple rencontré récemment Idriss Aberkan, expert en neurosciences, ou Minouche Shafik, directrice de la London School of Economics. Il a également embarqué tout son comex pour aller à Seattle, à la rencontre d’Amazon“, explique sa directrice de cabinet.

Ulrike Decoene est chargée de développer l’initiative « Women in insurance » qui vise à développer le taux d’équipement des femmes dans l’assurance. « Sur ce sujet, il y a l’opportunité de connecter une opportunité business à notre rôle social parce qu’équiper mieux les femmes c’est leur permettre de prospérer et d’avoir des rôles plus importants », assure-t-elle.

Combattante pour la promotion des femmes aux postes de direction, elle se dit « pas satisfaite » du nombre de femmes au comex du groupe. « Cependant, quand on voit tout le travail qui est fait pour la promotion des talents féminins, cela me rend plutôt optimiste pour l’avenir », tempère-t-elle. Elle explique que la réorganisation du groupe de 2017 a réduit les échelons hiérarchiques et donc le nombre d’opportunités. Ulrike assure que pour Thomas Buberl, la promotion des femmes est une urgence absolue. « Thomas est un de ces hommes qui entre dans une salle et dit : ‘mais où sont les femmes !?’ », rapporte-t-elle

Après un heure et demie de discussion franche, ponctuée d’anecdotes, Ulrike regarde sa montre : « Je suis désolée, j’ai tendance à m’étaler, on a un peu débordé… ». Il ne faut pas s’excuser.

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