INTERVIEW – Jean-François Furet-Coste, président de Solidarm, est candidat à la présidence de la Mutualité Française, face à Eric Chenut, vice-président de MGEN. Dans cet entretien, le général revient sur ses motivations et souhaite le renouvellement des lieux de décision de la fédération, quelle que soit l’issue du scrutin.
Quel bilan faites-vous du mandat de Thierry Beaudet à la présidence de la FNMF ?
Je considère que le bilan de Thierry Beaudet est positif et que son élection à la tête du Conseil économique, social et environnemental (CESE) est une bonne nouvelle pour le mouvement mutualiste. Thierry Beaudet a réussi à faire entendre la voix de la fédération. Je pense notamment au grand débat organisé en 2017 avec les candidats à la présidence de la République, à la réunion en 2018 avec Emmanuel Macron sur la mise en place du 100% santé, ou encore à son combat auprès de l’ACPR pour préserver le rôle de dirigeant effectif des présidents de mutuelle.
Cependant, je remarque qu’il y a des difficultés, des incompréhensions voire des tensions au sein de notre fédération. Il faut raviver l’esprit mutualiste. Les petites et moyennes mutuelles s’estiment peu écoutées. Les décisions ne sont pas toujours suffisamment partagées et il manque sans doute un niveau décisionnel. Par exemple, dans le contexte de dégradation de la santé mentale des Français que l’on a connu et que l’on connaît encore, un débat entre mutualistes aurait sans doute permis une décision collectivement acceptée, et soutenable, même si sur le fond, une initiative mutualiste dans ce domaine avait du sens. La Mutualité me paraît fragilisée, à plusieurs vitesses. Au niveau des unions territoriales, certains gros groupes ont une influence trop importante. C’est pourquoi je me suis battu pour contribuer à mettre en place une charte et une architecture de marque au niveau des établissements de soins. Il est important, existentiel même, que la mention « Mutualité Française » sur la façade des établissements sanitaires demeure.
A quel moment avez-vous décidé de présenter votre candidature de président de la Mutualité Française ?
Il y a trois ans, je suis intervenu devant l’assemblée générale pour parler de la défense du patrimoine mutualiste, de notre bien commun. J’ai noté une certaine appétence auprès de nombreux délégués et ceci a fait germer en moi l’idée de me présenter, éventuellement, le moment venu. J’ai annoncé ma décision de me présenter pendant l’assemblée générale de Solidarm en juin et officialisé ma candidature le 14 juillet dernier.
Il n’y a pas eu pluralité de candidats à la présidence de la Mutualité depuis 1979. Pensez- vous qu’une double candidature peut contribuer à la fragilisation du mouvement mutualiste ?
Je pense, au contraire, que nous disposons, au sein d’un mouvement comme le nôtre, d’un vivier de profils de qualité et j’estime qu’il peut paraitre surprenant, notamment en termes de débats, qu’in fine un seul candidat se présente. Selon moi, une élection n’a de sens que si un choix existe. Mon objectif n’est pas de mettre en difficulté qui que ce soit mais de montrer la diversité, les forces du mouvement.
Vous avez démarré un tour de France pour rencontrer des mutualistes en région. Quels sont les retours du terrain ?
Je rentre tout juste de Lille, où j’ai rencontré les militants de la Mutualité Française Hauts-de-France et visité des établissements mutualistes et je rencontre bientôt les élus d’Occitanie, de Nouvelle Aquitaine, de PACA, de Centre-Val-de-Loire et d’Ile-de-France. Je peux mesurer à nouveau combien la Mutualité est foisonnante. Les militants que je rencontre sur le terrain souhaitent par exemple préserver les unions régionales, qui jouent un rôle essentiel de relais sur le territoire. Pour moi, elles pourraient être de véritables ambassades. Il y a beaucoup de questions également sur la gouvernance autour du statut de l’élu. Afin d’attirer des jeunes, nous souhaiterions que les élus puissent bénéficier d’une disponibilité sur leur temps de travail, comme c’est déjà le cas pour les mandats syndicaux. D’autres questions qui préoccupent sont le poids du règlementaire ou encore le « mutuelle bashing ». Il ne faut en effet pas négliger de devoir mener une importante campagne d’information sur notre modèle dans la perspective des présidentielles.
En quoi votre programme est-il différent de celui du candidat Eric Chenut ?
Mon programme s’articule autour de trois axes. Le premier, celui d’une mutualité performante. Les mutuelles doivent avoir de l’influence et une voix qui porte. Le deuxième axe est celui d’une mutualité plus collégiale. Je suis un pilote et je travaille en équipage. Je souhaite associer davantage les délégués dans les décisions de la fédération, en créant des référendums mutualistes autour des questions de société comme l’accompagnement en fin de vie. Je propose de transformer la gouvernance de la fédération pour permettre au plus grand nombre de mutuelles, y compris les petites, de participer aux décisions via des unions de représentation. Enfin le troisième axe est celui d’une mutualité agile. Je propose un vrai suivi du plan stratégique et qu’il fasse l’objet d’une discussion sur la base d’indicateurs partagés en instance fédérale.
Éric Chenut, avec les soutiens des grands groupes Vyv et Aésio, est le grand favori de cette élection du 5 octobre. Quelles sont vos chances ? Quel est votre plan en cas de défaite ?
Mon objectif est d’être un président qui rénovera la Mutualité Française et je suis déterminé à aller jusqu’au bout. Quel que soit le résultat, nous pourrons mener des chantiers ensemble avec Éric. Notre ADN mutualiste nous rassemble. Je souhaite éveiller le militant qui est en chacun de nous.
Visez-vous un poste au sein du conseil d’administration de la fédération ?
Je suis simple délégué de la FNMF, et donc, selon les statuts actuels, je ne peux pas siéger au conseil d’administration si je ne remporte pas l’élection comme président.
Pensez-vous qu’il faudrait modifier les statuts ?
Il serait opportun d’envisager des réformes statutaires. Ce serait un moyen d’intégrer davantage toutes les mutuelles, les petites et moyennes notamment, aux décisions de la fédération. En ce qui concerne l’élection, certains ont évoqué une présidence partagée avec Éric Chenut ou bien une présidence déléguée... Pour faire face aux défis qui sont les nôtres, cela ne me paraît pas aberrant d’imaginer un nouveau poste d’élu permanent, en plus de ceux de président et de secrétaire général.
Quel type de président souhaitez-vous être ?
Je ne veux et ne peux travailler qu’en équipe. Je souhaite recueillir les convictions fortes de nos délégués, de nos mutuelles, créer de nouveaux effets de levier pour décupler notre capacité d’influence. L’effacement de notre modèle, et par extension de la fédération, est à l’œuvre, nous devons nous rassembler contre cela.
Quel regard portez-vous sur les débats actuels autour de la grande Sécu ?
Quel problème l’idée de la grande Sécu résout-elle exactement ? Notre système de santé est un vrai amortisseur de crise et un réducteur d’inégalités. Nous avons le reste à charge le plus faible parmi les pays de l’OCDE, nous sommes un pays où les personnes malades peuvent se soigner à moindre coût. Le monde entier nous envie notre système de protection sociale... pourquoi vouloir le déstabiliser ? Un groupe de travail piloté par Patrick Sagon œuvre au sein de la Mutualité sur l’avenir de la complémentaire santé et saura faire des propositions percutantes le moment venu.
Sur la taxe Covid, pensez-vous que les mutuelles seront mises à contribution à nouveau ?
La Mutualité n’a pas vocation à devenir un collecteur d’impôts. Beaucoup de mutuelles ont financé des mesures de solidarité pour leurs adhérents et n’ont pas augmenté les tarifs en 2021. Or, nous constatons des effets report sur les dépenses de santé depuis le début de l’année, en partie à cause du 100% santé mais aussi de la pandémie. Une nouvelle taxe pourrait mettre en difficulté beaucoup de mutuelles. Nous pensons que le financement de la protection sociale doit se faire de façon pérenne.
Pensez-vous que votre profil de militaire et le fait que vous n'avez pas été élu par les adhérents mais désigné par le ministère des Armées peut être un inconvénient pour remporter cette élection ?
Mon profil de militaire n’est ni une force ni une faiblesse, c’est un fait. Moi, je considère que mon engagement mutualiste est un prolongement de mon engagement militaire. Mon expérience de commandement ainsi que les nombreux travaux que j’ai menés en cabinet ont forgé l’homme que je suis, loin de l’image autoritaire qui colle à la peau des militaires. J’aime le dialogue et le débat. J’ai d’ailleurs constaté une très grande proximité entre les valeurs militaires et mutualistes : l’engagement, l’entraide, la solidarité, la force du collectif et le sens de l’intérêt général. Quand on rejoint la fédération, on rejoint le mouvement et on représente la diversité du mouvement, qui protège près de 35 millions de personnes. Notre passé nous construit individuellement ; notre avenir, nous le façonnerons ensemble.
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