Entretien avec Jean-Louis Charluteau et son successeur Simon Blaquière à la tête du Generali Climate Lab

Nous avons profité du passage de relais à la tête du Generali Climate Lab entre Jean-Louis Charluteau et Simon Blaquière pour faire le point avec Jean-Louis sur le chemin parcouru par le Climate Lab depuis sa création en 2015 et recueillir l’éclairage de chacun sur les prochains enjeux à adresser en matière d’assurance face à la montée en puissance exponentielle des risques naturels et de leur impact. Un échange qui permet également de détailler les points de convergence entre le Datalab, dirigé depuis 5 ans par Simon, et le Climate Lab.

Jean-Louis, vous avez créé le Generali Climate Lab il y a 9 ans, en 2015. Qu’est-ce que vous estimez avoir le mieux réussi ?

Jean-Louis Charluteau : Le principal succès que je retiens, c’est le « change management ». Il y a encore une dizaine d’années, quand on parlait de climatique dans nos organisations, c’était simplement une variable d’ajustement. Ce n’était pas totalement intégré : il n’y avait pas vraiment de primes, pas de tarifs, pas vraiment de zonier climatique. Puis les mentalités ont complètement évolué sous l’effet de la sinistralité mais aussi grâce à toutes les actions entreprises par le Generali Climate Lab pour diffuser la culture du risque climatique à tous les niveaux de l’entreprise. Aujourd’hui chez Generali, qu’on soit à la souscription, dans les bureaux d’études techniques, bien sûr à l’indemnisation, mais aussi dans des services plus éloignés de l’élaboration et de la diffusion des produits d’assurance, il y a une vraie conscience du risque climatique et une vraie conscience des frontières perméables que revêt cette notion. Le développement de cette culture de risque s’est fait de façon progressive mais aujourd’hui, je crois que c’est solidement ancré dans notre entreprise. Ça a nécessité des efforts, il a fallu convaincre à plusieurs niveaux qu’il était clé d’intégrer un système d’information géographique au cœur de nos outils de souscription, d’indemnisation, de tarification, de surveillance, de tarification interne… Aujourd’hui, c’est embarqué nativement dans le parcours de souscription.

La deuxième réussite, c’est le développement d’un véritable socle d’expertise non seulement technico-universitaire mais aussi d’une expertise très pratique, très concrète, mise encore une fois au service du business. Ça constitue un véritable asset pour Generali aujourd’hui.

Le troisième point que je retiendrais, c’est d’avoir partagé autant que possible cette expertise, ce savoir-faire, avec nos clients. Et de l’avoir fait de façon complètement accessible : sans jargon, sans générer une anxiété qui est totalement contre-productive, mais en partant du principe que nos clients sont des hommes et des femmes doués de sens de réflexion, capables d’accéder à ce type d’informations à partir du moment où on évacue tout le jargon technique ou administratif. On a utilisé des méthodes qui sont celles qu’on maîtrise chez Generali : le langage B1, les illustrations, des animations, tout ce qui permet de toucher les gens. Il s’agit d’agir à la fois sur les deux hémisphères cérébraux : la partie raison, rationnelle, cartésienne et puis la partie sensibilité, émotion qu’on peut atteindre plus facilement en associant des images aux mots et en s’appuyant sur des expériences comme le casque de réalité virtuelle pour simuler une exposition à une crue éclair.

Et puis enfin, le dernier point, c’est qu’on a conservé l’esprit start-up qu’on avait au début de l’aventure et notre niveau de curiosité vis-à-vis de ce qui nous entoure : les aléas, les solutions existantes, les exemples à trouver à l’étranger… C’est vraiment important que ces liens avec la recherche et les travaux universitaires soient conservés parce que là aussi ça nous a permis d’avancer.

Quelle place tient aujourd’hui le Generali Climate Lab au sein de Generali ?

Jean-Louis Charluteau : D’abord aujourd’hui, en tant qu’assureur, c’est-à-dire celui qui va payer le cout de ces dommages climatiques mais qui va aussi intervenir au plus proche de ses clients, il est essentiel de respecter notre promesse « Lifetime partner ». Nous avons développé au cours de ces dernières années un certain nombre d’outils : « Ensemble Face aux risques » pour évaluer l’exposition aux risques naturels de son habitation ou « Generali Prevention Météo », des solutions d’alertes de nos clients à la maille communale. On a aussi créé et amplifié des campagnes saisonnières pour véhiculer la bonne information au bon endroit et au bon moment. Aujourd’hui la composante climatique fait partie intégrante de l’axe durabilité de la compagnie. Et à ce titre, elle est reconnue comme un des facteurs clés et, en même temps, un des enjeux auquel la compagnie devra faire face pour réinventer son modèle d’assurance de dommages aujourd’hui chahuté par les coûts extrêmes de la sinistralité, le recul de la réassurance, des considérations réglementaires ou législatives qui réduisent parfois les possibilités d’actions. Et au-delà de l’assurance de dommages, je crois qu’aujourd’hui, pas un décideur dans l’entreprise ne peut imaginer son activité sans intégrer le changement climatique. Ça va s’étendre dans un futur proche à l’impact du changement climatique sur la santé humaine, sur l’espérance de vie, sur la qualité de vie. Ce sont autant de sujets clés sur lesquels, nous assureurs, pouvons apporter un éclairage et illustrer encore une fois complètement notre dimension « Lifetime Partner » pour permettre à nos clients de s’adapter au changement climatique et de s’y adapter de la meilleure façon possible.

Simon, vous étiez jusqu’ici en charge du Datalab : quelles sont les convergences entre vos missions précédentes et vos nouvelles fonctions ?

Simon Blaquière : Il y a énormément de points de convergence : maîtriser la modélisation des risques climatiques, c’est beaucoup d’expertises avancées qu’on retrouve dans les expertises data sciences. Nous avons aujourd’hui la capacité de disposer d’une multitude de données, les rendre accessibles pour pouvoir les traiter. Donc toute cette composante physique qui est extrêmement précieuse dans les équipes du Climate Lab, en combinaison avec l’expertise data science, nous permet d’être meilleur sur la quantification des risques automatiques et de nos expositions. Enjeu climatique, modélisation physique et data, c’est une combinaison gagnante pour a minima quantifier et donc demain maîtriser nos expositions aux risques en tant qu’assureur.

J’ajouterais également en point de convergence la dimension start-up dont parlait Jean-Louis. Je pense que l’esprit au Datalab et au Climat Lab est très similaire : une agilité, un esprit d’innovation, une volonté de faire bouger les lignes, qui étaient très fortes au Datalab et que je suis très content de retrouver au Climate Lab.

Generali entend être le champion de la Durabilité toutes catégories : comment s’inscrit le Generali Climate Lab dans cette ambition ?

Simon Blaquière : La durabilité est devenue un enjeu incontournable pour tous mais nous sommes, nous assureurs, parmi les premiers concernés. Avant tout parce que se pose la question de la pérennité du modèle assurantiel. La première mission, c’est de quantifier notre exposition parce qu’avec les +2 degrés de réchauffement vers lesquels on se dirige et la perspective qui se profile d’atteindre les +4 degrés, le niveau d’incertitude est sans commune mesure avec la réalité précédente. Le premier enjeu va donc être de réévaluer notre exposition, c’est à dire le risque qu’on supporte en tant qu’assureur, notamment en assurance dommage, branche de l’assurance incontournable pour une entreprise multi spécialiste et multirisques comme nous le sommes.

Jean-Louis Charluteau : Il faut se rappeler qu’en France, nous sommes les premiers concernés par ces enjeux. Parce qu’en France, on assure 100% des biens contre les périls naturels de toute nature, il n’y a aucun angle mort. Ce n’est pas partout le cas en Europe : par exemple, en Italie, seuls 5% des particuliers sont assurés, pour les entreprises, c’est de l’ordre de 60% et encore, on ne s’assure que pour le péril auquel on se sent exposés, c’est-à-dire essentiellement le tremblement de terre. Et c’est pareil en Allemagne : en 2021, la tempête Bernd a couté 45 milliards dont 14 milliards étaient couverts par des assurances, le reste c’est l’état et les particuliers eux-mêmes qui ont dû le supporter.

D’autre part, en France, on est à l’avant-poste du changement climatique en Europe à court comme à moyen terme, le recul du trait de côte est par exemple un phénomène qui va particulièrement toucher la France.

Quelles doivent être selon vous les priorités du Generali Climate Lab à court et plus long terme ?

Simon Blaquière et Jean-Louis Charluteau : Les grandes priorités restent l’étude des aléas et la prévention auxquelles s’ajoute à moyen terme la nécessité de probabiliser notre exposition.

D’abord, on n’a pas fini de travailler sur les aléas. De nouveaux périls concernent et impactent de plus en plus fortement la métropole. On peut citer notamment les périls secondaires qui sont moins bien modélisés, qui coûtent cher en dommage et qu’on ne peut plus céder aux réassureurs. Il y a dans ce cadre un aléa qui est en train de gagner en puissance, en sévérité et en pouvoir destructeur, regroupé sous le nom de tempêtes convectives sévères (SCS pour Severe Convective Storm) qu’il faut que nous contribuions à mieux modéliser. Le Generali Climate Lab a une action de sensibilisation à faire au niveau de la profession comme on l’a fait sur l’initiative RGA. Je compte sur Simon, notamment au niveau de la MRN (Mission Risques Naturels), pour qu’on consacre des ressources, des talents, des compétences, sur l’étude de ces périls secondaires aujourd’hui largement méconnus.

D’autre part, il faut investir massivement sur la prévention, soit au niveau de la profession, soit au niveau des clients. Pourquoi ? Parce que l’assurance n’a d’avenir que si elle travaille sur un risque résiduel, sur un risque qui a déjà été limité. Si l’assurance prend le risque de base, alors l’assurance est confrontée à un problème énorme qui est celui du risque systémique et risque systémique + assurance, ça ne marche pas. Pour que l’assurance marche, il faut qu’il y ait un grand nombre de payeurs de primes et un tout petit nombre de sinistrés à qui l’on paye leur garantie. Si on inverse la proportion, c’est fini, ça ne ça ne fonctionne plus.

Les mesures de prévention communément admises pour les entreprises ne le sont pas pour les particuliers qu’il faudra trouver les moyens d’accompagner davantage. Il y a deux types d’action à enclencher pour les particuliers. D’abord, des actions collectives : on croit beaucoup à l’initiative RGA parce que ça va nous permettre de peser sur les coûts de la prévention et les coûts de la réparation, d’avoir des prix industrialisés et de passer à l’échelle. Sur les autres périls, on va avoir besoin de s’appuyer sur des dispositifs fiscaux pour permettre à nos clients, que ce soit d’ailleurs dans le cadre de l’initiative collective par exemple le recul du trait de côte, ou des initiatives individuelles, d’engager les mesures qui aujourd’hui ne peuvent pas être autofinancées. Ça existe bien avec le diagnostic résilience, on doit y arriver sur le diagnostic d’exposition et de vulnérabilité aux risques naturels. On espère bien que Generali aura un rôle à jouer dans la mise en œuvre d’outils, notamment fiscaux, qui permettront aux particuliers de travailler sur leur vulnérabilité pour la réduire.

Troisième priorité : il faut probabiliser notre exposition. Aujourd’hui, on raisonne notre exposition au risque climatique comme un absolu, un nombre de sites dans une zone risque inondable, alors que ce qu’on doit viser en tant qu’assureur, c’est de probabiliser au sens « donner une période de retour pour des événements de moyenne intensité ». Les inondations du Nord-Pas-de-Calais Calais sont des inondations extrêmes pour le Nord Pas de Calais. Mais dans l’absolu, on est amené à voir tous les 2 ou 3 ans ce type d’événement ou la multiplicité de petits événements en France. C’est ambitieux.

Il y a certainement un défi qui va se présenter lorsqu’on va adresser le sujet du recul du trait de côte : quel est le rôle de l’assureur ? comment on va se préparer ? comment on va accompagner nos clients ? Et c’est à l’horizon 2030 ou plutôt, pour être prêt en 2050, il faut agir au plus tard dès 2030 : il faut qu’on ait un cadre législatif. Nous assureurs, on sera impliqué mais de quelle façon serons-nous impliqués ?

Une équipe avec des compétences multiples compose aujourd’hui le Generali Climate Lab, comment voyez-vous évoluer cette équipe ?

Simon Blaquière : Il faut maintenir la pluridisciplinarité et je trouve que ce qui a été bâti en matière de connexions avec le monde universitaire, le monde académique est vraiment important. On doit conserver voire renforcer cette proximité : avoir des doctorants, ça nous permet de nous arrimer à des laboratoires. Et les laboratoires d’où sont issus nos doctorants sont de très bons niveaux : le LSCE (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement), le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), ce sont institutions reconnues. Mais les partenariats peuvent s’étendre à des acteurs externes hors assurance.

Dans tous les cas, on aura besoin d’associer à ces connaissances physiques de fortes connaissances data, datascience et statistiques. Ce que disait Jean Louis sur la vulnérabilité est clé : nous devons disposer des bonnes données qui nous permettront de mieux comprendre comment le bâti est exposé à l’inondation, comment nos toitures sont fragilisées ou sont à risque par rapport à leur orientation en fonction du type de toiture… Au final, il faut maîtriser notre risque pour le céder, en réassurance, et être en capacité de bien le tarifer. Et n’oublions pas l’axe prévention qui est de plus en plus clé : nos assurés doivent être acteurs de leur propre risque.

Jean-Louis, pour conclure, quel conseil synthétise le mieux ce que vous avez dit à Simon au moment de la passation ?

Jean-Louis Charluteau : Il faut de l’audace ! Je reviens à ça parce qu’il reste beaucoup à faire. Il va falloir être audacieux et curieux. Ne pas se fixer de limites. On doit avoir la même curiosité en permanence, stimulée et ne jamais rester sur place. En 40 ans de management dans l’assurance, je sais que les équipes ont une tendance naturelle à se couler dans une forme de routine : il n’y a pas de routine dans notre métier.

Simon Blaquière : Ce sont les mêmes enjeux que ceux qui existent dans la data. On ne peut pas s’installer dans une certaine torpeur parce que ça va très vite, les technos bougent vite, les risques bougent vite, on a tendance à l’oublier, et les comportements de nos assurés changent très vite. On retrouve

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