Chronique : Je webs bien merci

De tout temps, les assureurs ont fait de la proximité leur parole d’évangile. Chaque commune paroissiale de notre beau pays pouvait se targuer de disposer au moins d’un assureur local à l’instar d’une église. Autant de confessionnaux que d’agences, de bureaux mutualistes, de cabinets ou de réseaux salariés… Le porte à porte se portait bien. Chaque famille d’assureurs distribuant ses contrats par un canal spécifique, garantissait une concurrence de bon voisinage sans hostilité ostentatoire… La poignée de mains entre l’assureur local et ses brebis à protéger était bienvenue !

Paradoxalement à l’heure de la multiplicité des canaux d’interaction client, les assureurs proclament que la proximité reste un élément clé de la relation avec l’assuré (sic)… allant jusqu’à affirmer que le client doit être au centre du business model de l’assureur (sic, sic). (1)

Ce disant, la e-proximité assurance du XXIe siècle équivaut-elle à la proximité mise en œuvre au XXe siècle ? e-webber : une opportunité de création de présence supplémentaire ou une occasion de remettre en cause la proximité, réelle ou supposée, de l’assureur local ?

Avec la digitalisation croissante de la chaîne assurancielle, on voit poindre une nouvelle menace pour les assureurs quelle que soit leur famille d’origine. Le risque latent d’indifférenciation qui voit l’internaute ne plus démarquer son assureur que par son logo incrusté sur sa tablette ou que par son bla bla télévisuel ! Et de voir les clics du claviériste supplanter définitivement la signature du plumitif quand tous les assureurs seront en capacité de proposer à leurs cibles cloudées des services à distance… Des assurnautes vont ainsi supplanter progressivement les assurés et les assistés que nous sommes !
Une tendance qui pourrait réduire drastiquement le nombre de points de vente d’assurance…

A ce stade de questionnement, plusieurs évidences viennent à l’esprit.

Premièrement, on peut se demander pourquoi un assurnaute devrait payer une prestation d’intermédiation plus élevée pour un service à distance ?
Ainsi, après l’encaissement bancarisé des primes, la démarche commerciale prémâchée en amont, l’émission des pièces centralisée et imprimables à domicile, la déclaration des sinistres et leur règlement par une plateforme de gestion locale ou lointaine, que reste-il comme valeur ajoutée de proximité mise en avant par les tenants inconditionnels de la (e-)relation client ? On se le demande, diront certains nostalgiques du face à face…

Deuxièmement, à l’oreille de l’e-assuré, une plateforme téléphonique d’un assureur X vaut bien celle d’un autre, qu’elle soit de souscription ou de sinistre, basée en France ou à l’étranger. A l’instar du parking asphalté d’un distributeur en ligne, peu importe le réseau pourvu qu’on ait le service ! Tous les drives ne se valent-ils pas ?

Alors ! Ne jamais rencontrer son assureur est-il de nature à remettre en cause la stratégie de différenciation des assureurs, soucieux de créer davantage de proximité numérique avec leurs clients ? Dans cet e-contexte, en outre, l’intermédiaire en assurance se limitera-t-il à ne faire que du commercial, externalisant toutes les tâches de gestion aux compagnies, à des courtiers grossistes ou à des prestataires de services, au risque de perdre sa technique assurantielle et sa pratique du service après-vente personnalisé, voire son savoir-faire ?

Troisièmement, dans cette banalisation assurancielle à tout va, les syndicats d’intermédiaires ne se borneront-ils plus qu’à négocier chaque année des budgets commerciaux de plus en plus étroits avec leurs mandants ? Ces derniers étant destinés à conserver un client zappeur ou pallier les erreurs des services centralisés ou les carences des prestataires imposés. De quoi manifester ainsi une lueur de proximité auprès de leurs clients que les phares aveuglants d’Internet sont en passe d’abolir.

In fine, on voit bien que la conquête et la fidélisation des assurés restent une gageure ou un vœu pieu quand on constate la constance du faible taux de possession de contrats par assuré dans le temps et quand la manne assurancielle hexagonale se restreint comme peau de chagrin.

A l’avenir, on peut parier que la richesse de l’assureur sera d’être en capacité de gérer durablement le zapping de ses e-clients… qu’il contribue lui-même à fabriquer. Mais n’oublions jamais que la confiance, valeur intemporelle, se mesure à l’aune de la pérennité de la relation, entre autres.
Ceci-dit, il lui restera toujours la possibilité de revêtir l’habit du facteur ou la soutane du curé pour affirmer sa présence sur un terrain hyperconcurrentiel et recréer de la valeur ajoutée de proximité… que le numérique est en capacité de détruire.

(1) Cf. le World Insurance Report 2015, réalisé par Capgemini et l’Efma : « (…) A l’heure du Big Data, des réseaux sociaux, de la communication conversationnelle, du mobile et de manière générale de la digitalisation de leur activité, les assureurs n’ont pas encore construit une expérience client à la fois homogène, cohérente vis-à-vis de leur stratégie, efficace, fluide et donc convaincante (…).

Par Donat Nobilé,

auteur de “Gérer le zapping de ses clients/Réflexions innovantes en assurance pour 2015 et au-delà…”

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