Capitaux alternatifs : compléments ou concurrents à la réassurance traditionnelle ?

    La réassurance alternative prend de l’ampleur et vient ajouter de la capacité à un marché parfois en demande sur certains risques très spécifiques.

    Depuis 2010, les capitaux alternatifs sont en constante augmentation. Selon les chiffres d’Aon Benfield, ils pesaient quelque 11,1% des capacités du secteur de la réassurance en 2014 contre un peu plus de 5% quatre ans auparavant.
    Certes, la croissance n’est pas exponentielle, mais elle est bien là, notamment en catastrophe. « Sur ces risques spécifiques, les capacités du secteur se montent à 250 milliards de dollars (environ 221 milliards d’euros, ndlr), dont 70 milliards issus des capitaux alternatifs, souligne Augustin Gas, retrocession manager chez Scor. Les capacités de la réassurance traditionnelle sont insuffisantes. »

    Les pertes modélisées pour la seule Floride avec une période de retour de 250 ans se montent à 200 milliards de dollars. Si on ajoute 100 milliards de dollars pour le Japon et 50 milliards pour l’Europe, on se rend compte que le marché a besoin de nouvelles capacités. Le véhicule privilégié est celui de la réassurance collatéralisée, environ 26,5 milliards de dollars en 2014. La couverture est similaire à celle de la réassurance classique, mais ouverte à des acteurs comme les fonds de pensions, les banques d’affaires ou encore les hedge funds.

    Viennent ensuite les cat bonds (22,4 milliards de dollars en 2014). Ce chiffre est en constante augmentation depuis 2010 où ils s’établissaient à environ 17 milliards de dollars. Et pour cause, échaudés par des taux obligataires à un niveau historiquement bas, les organismes financiers sont enclins à investir dans des cat bonds. Le coupon oscille en effet entre 4 et 6%, « soit environ deux fois l’espérance de perte », précise M. Gas.

    Pour autant, les cat bonds ne sont pas la panacée. « Ils ne concernent que des risques dont l’espérance de perte est faible, c’est-à-dire le haut des couvertures catastrophes », indique Augustin Gas. Les investisseurs exigent par ailleurs des modélisations très précises et se positionnent sur des risques paramétriques plutôt que sur des risques indemnitaires. « Les remboursements sont par exemple déclenchés lorsque le vent dépasse une certaine vitesse », poursuit le retrocession manager. Se pose également la question de l’après. Une fois le cat bond expiré, au bout de 3 à 5 ans, il n’y a aucune promesse de renouvellement.

    Enfin, les coûts fixes pour monter un cat bond sont très importants. « En dessous de 50 millions de dollars, ce n’est pas intéressant », lance-t-on chez Scor. Un chiffre qui se réduit pourtant. « Depuis un ou deux ans, il est possible d’émettre un cat bond pour des capacités plus modestes (20 millions d’euros) », selon Catherine Bourland, directrice générale d’Aon Benfield.

    Et la France ? « Ce n’est pas un marché pour la capacité alternative », affirme François Vilnet, président de l’Apref. Car le marché français, et tout particulièrement le sinistre tempête, est bien couvert. Le régime cat’nat bénéficie en effet de la garantie illimité de l’Etat. En revanche, lorsque le marché de l’assurance sera mature en Asie, d’énormes besoins en réassurance vont apparaître.
    En Chine, le marché de la réassurance alternative en est à ses balbutiements, mais commence à s’éveiller. Un premier cat bond de 50 millions de dollars a ainsi été monté le 1er juillet dernier à l’initiative de China Re pour couvrir le risque de tremblement de terre.
    Et cela devrait aller croissant à mesure que le taux de pénétration de l’assurance grimpera. Selon les prévisions d’Aon Benfield, quelque 100 milliards de dollars de capitaux alternatifs sont attendus sur le marché mondial en 2018. Mais essentiellement en réassurance non-vie.

    Toutefois, la réassurance alternative peine à percer en réassurance vie. « De nouvelles garanties voient régulièrement le jour en vie. C’est la grande différence avec le dommage, explique Philippe Virolle, directeur général adjoint du département vie, accident et santé d’Aon Benfield. Le secteur a besoin de capacités. Mais les cédantes ont également besoin de conseil et d’accompagnement sur la couverture et la modélisation de leurs risques. Elles privilégient donc les services de réassureurs traditionnels et de courtiers. »
    Certains risques biométriques comme le risque de mortalité, ou le risque de pandémie permettent toutefois des opérations de titrisation. Modélisables, ils entrent en effet dans le canevas d’exigences des risques susceptibles d’intéresser les hedge funds, les mutual funds ou les fonds de pension.

    Le secteur de la réassurance doit-il voir un concurrent dans la réassurance alternative ? « Non », répond sans détour François Vilnet. Dans la réassurance collatéralisée, les réassureurs sont le point d’entrée des investisseurs qui assument le risque de contrepartie à leur place. Il en va de même pour les sidecars (contrat en quote-part) ou les Industry loss warranty (ILW).

    L’avis est moins tranché sur les cat bonds. Les réassureurs ne sont en effet pas les seuls émetteurs. Ils sont même minoritaires. Selon Scor, seul un tiers des cat bonds vient des réassureurs traditionnels, le reste du marché étant aux mains des assureurs. En 2013, Axa avait ainsi émis pour 350 millions d’euros de cat bonds contre le risque tempête en Europe. La même année, Groupama lancé un cat bond de 280 millions d’euros contre les tempêtes en France pour une période courant jusqu’en juillet 2016.

    « La réassurance fait même pression sur les réassureurs », souligne Francis Taeger, directeur du département Groupes mutualiste-bancassureurs d’Aon Benfield. Une pression sur les tarifs qui a conduit le secteur à se consolider ces derniers mois (voir p.12). Dans un rapport, Standard & Poor’s estime que la vague de fusions et acquisition lancée entre les acteurs de la réassurance est notamment la conséquence de la montée en puissance des capitaux alternatifs. La vague de concentrations n’est donc pas près de s’arrêter.

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