Management : Interview avec Valentine de Lasteyrie et Fabrice Domange
INTERVIEW – Pour la première fois, la rédaction de News Assurances Pro a réalisé une interview croisée de deux dirigeants de la profession aux parcours et aux profils distincts mais incarnant une nouvelle forme de management. Valentine de Lasteyrie (directrice générale de l’assureur Albingia) et Fabrice Domange (Président de Marsh France) livrent dans ce long entretien leurs visions respectives sur les questions d’inclusion, de diversité ou encore de RSE, dans une industrie dont l’image est encore vieillissante.
Dans quelle mesure incarnez-vous une nouvelle forme de management ?
Fabrice Domange - De manière concrète, lorsque l’aventure Marsh a débuté pour moi en 2016, une des premières mesures a été d’initier une nouvelle culture d’entreprise avec une transformation en profondeur de l’environnement de travail, des outils, des processus internes et surtout de la dynamique de collaboration entre les équipes. Porté par une vision claire, « Réinventons le plaisir de travailler ensemble », ce projet a été l’élément fondateur de cette transformation.
En termes de management, nous avons également beaucoup travaillé sur ce que l’on appelle les « spans and layers » pour passer de 11 à 4 niveaux hiérarchiques maximum entre chaque collègue et moi. Le but était de clarifier l’organisation, d’améliorer la communication entre les équipes, et enfin de favoriser la responsabilisation de chacun. Il nous a fallu faire preuve d’agilité, de modernité et être à l’écoute de nos collaborateurs/trices pour évoluer avec leurs attentes, les doter de meilleurs outils, leur donner les moyens de mieux concilier vie professionnelle et personnelle. Il est possible d’avoir un management fort et exigeant tout en ayant beaucoup d’écoute, d’empathie et de bienveillance, sachant que nous « manageons » jusqu’à 5 générations en même temps dans l’entreprise, avec des aspirations différentes.
Valentine de Lasteyrie - Pour moi, la question principale aujourd’hui est celle de donner du sens au travail, un besoin auquel répondent plus aisément les structures à taille humaine comme la nôtre. Donner du sens, c’est d’abord donner à tous les collaborateurs/trices une vision à 360° de leur impact sur le fonctionnement de la compagnie. Ils ont un accès complet à toutes les informations sur la stratégie de l’entreprise et ses enjeux (Solvabilité, IT, gestion d’actifs, réassurance…). De plus, rien ne donne plus de sens que de posséder son outil de travail. Chez Albingia, 50% de nos collaborateurs/trices sont actionnaires de l’entreprise et nous pratiquons l’actionnariat salarié depuis 20 ans.
Ensuite, cela veut dire remettre l’humain au centre de tout. Cela passe par un suivi personnalisé de chacun(e), l’accompagnement de carrières sur-mesure, des évolutions professionnelles rapides qui concilient les aspirations individuelles et l’intérêt de l’entreprise. Nous avons deux coachs à temps plein pour accompagner les collaborateurs/trices autant qu’il est nécessaire sur leur développement professionnel et personnel.
[caption id="attachment_1558804" align="alignnone" width="1860"] Valentine de Lasteyrie et Fabrice Domange dans les locaux de News Assurances Pro.[/caption]Vous évoluez dans un secteur dont certaines figures dirigeantes sont en poste depuis plusieurs dizaines d’années. Comment marquer votre différence ?
VdL – J’hérite d’une histoire qui a plus de 60 ans et je souhaite conserver les fondamentaux qui ont fait le succès de l’entreprise tout en la modernisant. L’intergénérationnel est une évidence quotidienne que nous faisons très bien vivre au sein d’Albingia. Je ne crois pas du tout au jeunisme mais plutôt à la diversité sous toutes ses formes. Le collectif s’épanouit dans la différence et je fais très attention à ce que la pyramide des âges dans les équipes soit équilibrée. Les nouveaux arrivants bénéficient de parcours de mentorat et sont systématiquement suivis par des parrains et marraines car nous croyons à la transmission et à l’enrichissement mutuel.
FD – Il ne s’agit pas d’une question d’âge, mais de mentalité et de motivation. Nous évoluons dans un monde où la réactivité est importante, surtout dans le courtage qui est un métier de services. Vitesse et qualité de service sont primordiales. Nos métiers ne sont pas assez valorisés alors qu’ils sont très dynamiques, passionnants avec une diversité de postes extrêmement grande. Aussi, à court terme, nos perspectives pour étoffer nos équipes se tournent essentiellement d’une part vers la mobilité intra-secteur, et d’autre part vers l’élargissement des viviers de recrutement. Le recrutement de collaborateurs issus d’autres formations, telles que la finance, l’ingénierie ou encore le conseil, vient enrichir notre profession de leurs talents et de leurs compétences. Et cela nous permet de bénéficier de nouvelles approches et d’une grande diversité de points de vue, pour libérer le plein potentiel du groupe.
Comment abordez-vous les questions d’inclusion dans le quotidien de vos sociétés ?
VdL – Je suis co-fondatrice du collectif Sista à titre personnel. Nous travaillons activement à l’émergence d’une génération de dirigeant(e)s plus diversifié(e)s. C’est un engagement qui m’anime au quotidien depuis plusieurs années. La diversité (sociale, culturelle, scolaire, de genre, etc…) améliore les résultats et la résilience des entreprises. La diversité est une évidence pragmatique en plus d’être juste. Chez Albingia, 60% des managers sont des femmes. Le manque de diversité est souvent un sujet de biais cognitifs inconscients. Y remédier demande que le dirigeant s’implique au quotidien et analyse les freins éventuels à tous les niveaux de l’entreprise.
[caption id="attachment_1558795" align="alignnone" width="1860"] Valentine de Lasteyrie (directrice générale d'Albingia)[/caption]FD – Cultiver un environnement inclusif dans l’entreprise, c’est faire en sorte que chacun s’y sente bienvenu, accepté, à sa place. Cela passe par la volonté et l’exemplarité du management, avec une tolérance zéro sur toute forme de discrimination. En 2020, à l’occasion du mouvement « Black Lives Matter », notre CEO Dan Glaser a pris des positions fortes avec des engagements concrets pour montrer que l’exemplarité n’était pas une option et pour s’assurer qu’il n’y ait pas de discrimination au sein du groupe Marsh McLennan. En France, nous avons également beaucoup travaillé sur l’inclusion. Par exemple, depuis 5 ans, avec l’aide de ma DRH, je m’implique personnellement pour corriger dans notre organisation les écarts de salaires entre hommes et femmes à grades et périmètres égaux.
C’est le rôle du dirigeant que de veiller à conduire concrètement cette politique et de se montrer exemplaire. Autre exemple, je n’accepte plus d’intervenir dans un panel qui n’a pas de diversité ou de parité totale. Ce sont certainement des opportunités manquées en termes de visibilité, mais il faut être clair sur ce que l’on veut. A mes yeux rien n’est plus important que la diversité autour de la table. Enfin, au-delà du simple clivage femmes/hommes, l’inclusion embrasse toutes les singularités de chaque individu, qui en font aussi sa richesse : nationalité, culture, formation, parcours de vie et parcours professionnel, …
Quel regard portez-vous sur l’attractivité de la profession et comment œuvrez-vous au quotidien pour attirer et fidéliser les collaborateurs ?
FD – Notre enjeu est de répondre à la quête de sens de nos collaborateurs. Dans l’ensemble, les acteurs du secteur de l’assurance communiquent mal sur le fait que l’assurance œuvre pour le bien commun et que la gestion de risques est clé pour la société dans son ensemble. Comment faire progresser l’exploration spatiale, la recherche médicale, les nouvelles technologies ou les transports, sans assurance ? Comment initier la transition écologique sans que ces projets ne soient correctement maîtrisés en termes de gestion des risques ? Nous devons redonner au secteur de l’assurance ses lettres de noblesse et expliquer à quel point notre métier est clé pour la société.
Si l’on considère maintenant l’emprise globale de Marsh (plus de 500 bureaux dans 130 pays), il est relativement aisé d’en déduire la profondeur et la variété de nos expertises, la diversité de notre portefeuille de clients, la richesse de nos bases de données et donc de nos capacités de benchmarking… Autant d’arguments propres à séduire de nouvelles recrues et à susciter l’envie de nous rejoindre.
[caption id="attachment_1558796" align="alignnone" width="1860"] Fabrice Domange (Président de Marsh France)[/caption]Nous avons un autre argument de taille en termes d’attractivité : au-delà des lignes d’assurance classiques dommages/RC/Auto, Marsh a une très forte expertise et notoriété sur des spécialités aussi diverses que pointues. Sans oublier nos compétences en conseil, en gestion alternative des risques, en gestion des sinistres complexes. Ni celles de nos sociétés sœurs au sein de Marsh McLennan. L’ensemble des marques du groupe permet des perspectives d’évolutions et de passerelles, le tout à travers le monde. Aujourd’hui, les jeunes sont exigeants à juste titre, il faut répondre à leurs attentes pour les retenir. Notre programme « Marsh Graduate Development », conçu sur 2 ans, leur propose l’apprentissage de plusieurs métiers, pour qu’ils puissent découvrir différents horizons et améliorer tant leurs compétences professionnelles que leurs aptitudes personnelles.
Nous encourageons également les initiatives internes pour favoriser le lien entre salariés et nous proposons des conditions de travail (2 jours de télétravail par semaine, flex-office, partenariat avec les crèches, service médical in situ, don solidaire de jours RTT entre collègues, etc) qui doivent permettre aux futurs collaborateurs/trices de se sentir en confiance et de s’épanouir pleinement dans l’entreprise.
VdL - Il est vrai que l’assurance est un métier avec une image assez poussiéreuse alors qu’en réalité il est absolument passionnant. Pour nous qui sommes positionnés sur les risques d’entreprises, ce métier touche aux fondamentaux du fonctionnement de l’économie avec une grande richesse de matières mais mal connue. C’est à nous d’y remédier.
En ce qui concerne la fidélisation des équipes, je suis convaincue qu’elles recherchent d’abord une attention forte portée à l’individu, de l’écoute, de la bienveillance, de la proximité, de la formation et de l’échange, le tout dans l’intérêt du collectif. Chaque salarié(e) est unique et le ressentira chez nous. Nous multiplions les initiatives qui leur permettront de grandir professionnellement et aussi personnellement dans l’entreprise : yoga, sophrologie, ostéopathie, salle de sieste et méditation, coaching parentalité pour aider les jeunes parents... Cependant, il ne faut pas tomber dans la surenchère de la QVT. Je déconseille donc aux jeunes diplômés de choisir leur entreprise parce qu’elle a un food truck, du télétravail ou un babyfoot, mais plutôt parce qu’elle met l’humain au centre de tout
Évidemment, la taille humaine de notre structure permet à chaque collaborateur/trice d’être traité(e) comme tel(le). Pour preuve, près de 40% des équipes sont en poste depuis plus de 10 ans. La clé c’est d’apporter à la fois des perspectives de développement, des possibilités d’évolution rapides ou des changements de carrière dans d’autres directions. Le dernier membre nommé de notre comex est par exemple entré comme souscripteur en 2019.
Comment allier management et proximité dans l’entreprises ?
VdL – Notre entreprise est composée de 300 personnes. La proximité est donc inhérente à son fonctionnement quotidien. Nous nous connaissons tous. Tou(te)s les collaborateurs/trices ont porte ouverte auprès de moi et aussi auprès du comité de direction. Je vais constamment à leur rencontre et nous multiplions les événements internes conviviaux. Nous avons maximum trois niveaux hiérarchiques avec une grande responsabilisation et autonomie des managers. Surtout, le présentiel joue beaucoup. J’assume pleinement le modèle présentiel qui est pour moi la garantie d’une véritable proximité quotidienne avec chacun(e). Cela permet de connaître les besoins et les souhaits de tou(te)s ce qui est aussi un facteur d’égalité pour un fonctionnement collectif optimal.
FD – En tant que dirigeant, notre rôle est de venir au contact des équipes, que ces dernières nous voient, nous côtoient et puissent nous aborder sans difficulté. Je suis un fervent partisan du « lead by exemple ». C’est la raison pour laquelle je m’efforce de répondre à tous les messages, et les 1875 collègues de Marsh McLennan France savent que ma porte leur est ouverte. L’attitude du dirigeant va automatiquement infuser sur celle des managers, ce qui est primordial pour instaurer une culture de proximité et de confiance dans l’entreprise. La proximité se mesure également à notre taux d’engagement élevé (80%); le sens des responsabilités à tous les étages, la fierté de faire partie d’une équipe soudée, la confiance dans la stratégie fixée par le leader : c’est ça, le sentiment d’appartenance.
Dans quelle mesure vos formations et vos parcours respectifs vous ont-ils aidé à atteindre vos postes actuels ?
VdL – J’ai un parcours très diversifié. J’ai travaillé à la fois à l’étranger et en France. J’ai débuté ma carrière au sein de ministères en passant par des startups. Cela est pour moi un avantage et me permet de ne pas me laisser enfermer dans des conventions ou des idées préconçues.
Je crois que cela me permet surtout d’aborder les sujets avec pragmatisme et curiosité. FD – J’ai eu la chance d’évoluer dans 5 secteurs industriels différents, que ce soit en Europe, au Moyen-Orient ou encore aux USA. J’y ai beaucoup appris sur le respect, la tolérance et surtout j’ai pris l’habitude de manager en fonction des cultures et des différentes façons de travailler. Au quotidien, cela a forgé mon caractère avec beaucoup de pragmatisme et de bon sens. J’essaie aussi de parfaitement comprendre les mécanismes actuels et tenter d’appliquer des processus appris dans d’autres industries.
Comment vous-impliquez-vous sur les sujets de RSE, notamment en termes de partage de la valeur ou dans votre politique de mécénat ?
VdL – Notre compagnie d’assurance est indépendante ce qui veut dire que nous nous projetons sur le long terme. La question de la RSE renvoie donc à la bonne gestion de l’entreprise sur un horizon lointain. Nous avons totalement décarboné nos investissements et nous choisissons désormais nos fonds sur des critères extra-financiers et humains. Nous rétrocédons par ailleurs 1% du résultat net de l’entreprise à des causes sociétales, là aussi choisies par nos salariés. Le premier critère de RSE, je le répète, est l’humain au centre de tout. Il faut que le salarié se sente bien dans l’entreprise et qu’elle soit inclusive, bienveillante, protectrice et formatrice.
FD – Je crois en la culture d’une ambiance de travail collaborative et solidaire, y compris en-dehors de l’entreprise. Car après tout, celle-ci ne vit pas repliée en vase clos mais doit être ouverte sur la société dans laquelle elle évolue. Pour nous, la RSE passe d’abord par la création et le soutien d’initiatives et d’actions solidaires mises en place par nos salariés. Nous veillons à permettre à tous les collaborateurs qui le souhaitent de créer de l’engagement et de l’impact au sein de l’entreprise.
En plus des initiatives portées par nos collègues, nos équipes RH et communication organisent tout au long de l’année de nombreuses actions solidaires dans le cadre de notre partenariat avec Benenova. Avec la fondation EPIC, nous avons aussi mis en place un dispositif d’arrondi sur salaire qui permet à nos collaborateurs volontaires d’effectuer des micro-dons à l’association de leur choix. Enfin, nos employés ont régulièrement l’opportunité d’entretenir leur forme tout en œuvrant pour de bonnes causes : courses Action contre la Faim, Les Foulées de l’Assurance, le cross du Figaro… Je suis toujours fier, et même ému, de l’engagement et de la générosité que déploient nos collaborateurs pour de multiples bonnes causes.
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