En route vers la segmentation des garanties santé

    L’environnement économique et la hausse des primes pousse les assureurs à proposer des garanties segmentées, « au plus juste », et donc moins chères. Au risque de provoquer la démutualisation ?

    Pour la plupart des acteurs du marché de l’assurance santé, il s’agit d’une réalité incontournable : les produits à l’avenir seront de plus en plus personnalisés, et donc démultipliés. « Ce qui marche, ce sont les formules de plus en plus flexibles, assure Daniel Makanda, directeur marketing chez Santiane.fr. Aujourd’hui deux mutuelles sur les 16 avec qui nous travaillons ont ce type de profil. » Le site Internet comparait en effet 200 formules en début d’année, et plus de 300 aujourd’hui.

    Des formules à la carte chez tous les assureurs ? On n’y est pas encore, même si on se dirige vers ce type de contrats. « Aujourd’hui on commence à peine la segmentation, explique David Dorn, directeur du marché santé prévoyance et dépendance pour les particuliers Axa. On reste encore sur des formules de 100 à 200% avec des renforts de garantie, c’est le point d’accroche majeur, y compris chez nos agents généraux qui fonctionnent beaucoup par formule. »

    Il y a donc encore une marge de progression dans la segmentation pour sortir du schéma  lego. L’approche peut être géographique, comme les nouveaux produits que va sortir AG2R La Mondiale dès décembre : « Nous passons d’un tarif national à un tarif régional pour cette offre, car nos plus gros concurrents aujourd’hui sont les mutuelles locales », confie Philippe Dabat, directeur général délégué.

    Segmentation par l’âge

    Mais la segmentation la plus avancée est celle qui se détermine à partir de l’âge de l’assuré. « La quasi-totalité des contrats pratiquent une segmentation par groupe d’âge, estime Claire Bodin, membre du collège des économistes de la Santé. Je pense que cela va se généraliser, c’est inévitable. On ne peut pas demander aux jeunes de payer pour leurs aînés car ils ont déjà des charges très lourdes. »

    Axa compte par exemple présenter une nouvelle offre segmentée pour les professionnels, les familles, les jeunes et les seniors : « Les jeunes sont plutôt intéressés quand on s’adresse à eux de façon segmentée, assure David Dorn. Par exemple, ils prêtent beaucoup attention à la prise en charge des frais médicaux à l’étranger. » Les familles, elles, sont plutôt attirées par des garanties renforcées en orthodontie ou en hospitalisation.

    Segmentation par type de risque

    A côté de l’âge, on peut pratiquer une segmentation par risque, plus polémique. Amaguiz vient de lancer fin septembre son offre santé modulable en fonction des des besoins en soins généraux, hospitalisation, dentaire ou optique. « C’était le produit le plus sollicité sur l’espace collaboratif de notre site, affirme Nelly Brossard, directrice générale. »

    L’offre insiste sur la personnalisation des garanties, avec 60 combinaisons possibles. « Ceux qui ne vont jamais chez le médecin, les jeunes, les ultra actifs, peuvent réduire leur cotisation tout en étant quand même couverts au minimum. » Ils s’engagent par exemple à ne plus être remboursés pour les médicaments à vignettes bleues et oranges, et à renoncer à 1 euro sur chaque consultation en échange d’une remise de 10% sur leur prime mensuelle.

    Le débat de l’accès aux données médicales

    Cette segmentation par type de risque pourrait être encouragée par l’accès des assureurs aux données médicales de leurs clients. « Pourquoi pas des produits qui ne garantissent que des maladies graves ? » s’interroge Henri Laurent, directeur général prévoyance et santé Swiss Life.

    La compagnie helvète a lancé une expérimentation d’accès aux données de santé par consentement express, en attente de validation par la Cnil. « L’enjeu, c’est de faire évoluer les garanties de façon plus fine. On pourra par exemple décider de rembourser certaines classes de médicaments et pas d’autres. » Et par là faire baisser les prix. « Cela prendra du temps mais il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas », espère Henri Laurent.

    D’où des interrogations sur la fin des contrats solidaires et responsables. « Tout le monde réfléchit à des opportunités de proposer des contrats plus adaptés même s’ils n’entrent pas dans le solidaire et responsable », estime David Dorn, chez Axa. Mais attention, le marché ne va pas rebasculer du jour au lendemain. 

    De l’avis général, les contrats solidaires représentent une avancée et ont vocation à continuer. Mais la partie « responsable » pourrait être redéfinie. « Il faut découpler les deux, affirme Claire Bodin. Dans un contrat responsable, le contenu de garantie est imposé. Or on peut imaginer un autre contenu, prendre une part de petit risque pour se garantir sur le gros risque, ce qui n’est pas forcément idiot. »

    Eviter la démutualisation

    Des garanties minimales certes, mais jusqu’à un certain point. La plupart des acteurs ne souhaitent pas aller à l’encontre du principe de mutualisation, sur lequel la Mutualité française a fortement insisté lors de sa conférence de presse mi-octobre. Même les assureurs privés posent des limites : « Il faut qu’il y ait un intérêt pour le plus grand nombre, reconnait David Dorn chez Axa. Sans aller vers de micro-segments, il faut inventer des offres adaptées aux besoins. »

    La démutualisation conduirait purement et simplement à l’anti-sélection, rappelle Claire Bodin : « Les personnes ayant un risque le savent et souscrivent des garanties uniquement pour celui-ci. D’où une hausse des cotisations à terme. Il ne faut donc pas aller trop loin dans la segmentation entre les différents risques. Par contre au niveau de l’âge, c’est possible. »

    Les distributeurs préfèrent la simplicité

    La segmentation n’a pas que des obstacles moraux et économiques. Il existe aussi des difficultés de distribution. « Une des limites, c’est la difficulté d’un réseau de distribution à commercialiser le produit, explique Henri Laurent, de Swiss Life. Les courtiers le confirment, la complexité des contrats va sûrement devenir un frein.

    Santiane.fr est convaincu qu’à court terme, il y aura un phénomène de « downsizing » : « Les acteurs reviendront vers une simplification et un nombre réduit de formules, explique Daniel Makanda. En effet, la multiplication des contrats bride la capacité de décision des consommateurs et les formules nombreuses et complexes vont à l’encontre de la volonté des courtiers et des agents, qui préfèrent la simplicité. » Si la segmentation est l’avenir de l’assurance, il donc faut rester prudent et se limiter au futur proche.

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