Le “1,50 TA”, un VRP de 75 ans à réinventer

Quel professionnel de l’assurance collective ne s’est jamais posé la question de savoir si l’obligation dite du « 1,50 TA » pouvait être atteinte en prenant en compte le financement d’une garantie de frais de santé ? Cette interrogation va désormais appartenir au passé après que la Cour de cassation ait tranché, le 30 mars dernier, le problème. Si cette réponse jurisprudentielle mérite l’analyse, elle invite également et surtout à relever les questions encore en suspens, et mesurer l’intérêt de cette disposition pour l’avenir au sein du paysage des assurances collectives de salariés, interrogeant la façon dont la discipline peut ou doit se réinventer.

Problème. – Les parties à la Convention collective AGIRC du 14 mars 1947 ne pensaient peut-être pas que l’article 7 titré « avantage de prévoyance » trouverait toujours application 75 ans plus tard. Les mots qu’ils ont employés sont restés inchangés, malgré la substitution de cet article par l’ANI du 17 novembre 2017 « relatif à la prévoyance des cadres », dans le prolongement de la fusion des régimes AGIRC/ARRCO. Les employeurs de salariés cadres (et de certains non cadres assimilés) doivent verser à un organisme assureur une cotisation égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de sécurité sociale, ce financement étant affecté par priorité à la garantie décès. Si l’employeur ne peut justifier avoir rempli cette obligation de financement, les ayants droit d’un salarié défunt peuvent obtenir le versement d’un capital à titre de sanction forfaitaire égale à trois plafonds annuels de sécurité sociale (soumis à charges sociales).

On n’a guère fait mieux depuis comme outil d’aide à la vente d’assurance, puisque dès l’emploi d’un premier salarié cadre ou assimilé, le couperet de l’obligation de financer une « prévoyance » tombe sans délai. Mais rien n’est immuable dans ce bas monde, et tout a vocation à être raffiné. C’est à sa manière ce qu’a fait une organisation syndicale en sollicitant la Cour de cassation. Ses magistrats ont tranché dans le sens de l’employeur en jugeant que ce dernier avait respecté l’obligation en couplant un financement de garanties « incapacité, invalidité, décès » et « frais de santé ».

D’un point de vue sémantique, le débat avait l’intérêt de déterminer le sens qu’il faut donner au mot prévoyance, selon que l’on adopte une approche restrictive « de terrain » (la prévoyance lourde) ou cohérente avec différents textes de loi (incluant les frais de santé). Sans surprise, les juges ont retenu la logique juridique en jugeant que l’obligation du « 1,5 TA » pouvait être atteinte avec les frais de santé.

Sujets en suspens et devenir du dispositif. – Que les juristes et praticiens en mal de sujet de débat se rassurent, le « 1,50 TA » n’a pas livré tous ses mystères : on continuera à se demander ce que signifie l’exigence d’affecter la cotisation « par priorité au décès », l’incidence d’une dispense en frais de santé ou encore la détermination de la cotisation pour des salariés percevant une rémunération inférieure à un plafond de sécurité sociale.

Mais au-delà de ces subtilités juridiques pour spécialistes consentants, c’est davantage le rôle et la nature de cette garantie conventionnelle qui méritent d’être questionnés. Et par là même, d’interroger les partenaires sociaux négociant les ANI sur les évolutions qu’il serait bon pour tous de mettre en œuvre. Chacun connait le taux d’équipement des entreprises en matière de prévoyance lourde et de frais de santé. Le légitime souci de progrès social poursuivi par les syndicats doit passer par une réinvention du « 1,50 TA » vers un financement de garanties innovantes, comme la dépendance ou l’aide aux soignants. À l’après-guerre, la probabilité de mourir en période d’activité professionnelle était une réalité statistique évidente puisque l’espérance de vie avoisinait les 67 ans. Désormais, il n’est pas rare que quatre générations se côtoient. Il y a donc matière à employer le véhicule du « 1,50 TA » pour apporter aux cadres l’accès à ces nouvelles couvertures. On laissera alors la théorie du ruissellement faire son chemin pour l’ensemble des autres salariés.

 

Par Frank WISMER, avocat associé, AVANTY Avocats
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