Les lignes mouvantes de l’assurance de personnes

Avant même sa publication, le rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) sur l’articulation entre assurance maladie de base et « complémentaires santé » fait déjà parler de lui. En témoignent les récentes prises de position de politiques et d’économistes. Parmi les quatre scenarii sur la table, d’un statu quo « amélioré » à une « grande sécu », c’est ce dernier qui fait l’objet de tous les débats. Il se traduirait par une suppression du ticket modérateur, actuellement pris en charge les complémentaires santé, la dépense correspondante basculant dans le champ de l’assurance maladie obligatoire. Le transfert de masse assurable est estimé à plus de 18 Mds€ et entraînerait une rétraction de 70% du chiffre d’affaires des complémentaire santé.

Pour y voir clair à ce stade, quelques constats objectifs s’imposent. La dualité de financement sur un même panier de soins est une spécialité française qu’il pourrait paraître tentant de vouloir simplifier en limitant le système à un financeur unique ; la digitalisation des flux permet pourtant en général des remboursements rapides des deux côtés. Les complémentaires présentent, il est vrai, des frais de gestion plus élevés que ceux de l’assurance maladie, mais ce constat ne saurait être une véritable critique puisque les complémentaires supportent la charge du recouvrement des cotisations, la gestion de contrats hétérogènes, le coût d’adaptation de la réglementation, ainsi que des frais de marketing et de distribution. Cette différence est donc intrinsèquement liée à l’économie de marché dans laquelle évoluent ces organismes, ce qui les conduit d’ailleurs, par le jeu de la concurrence, à soutenir les innovations en santé pour se différencier par des services de prévention et d’accompagnement de leurs assurés – n’ont–ils pas été à l’initiative des réseaux optiques et dentaires et du financement des premières téléconsultations ? Enfin, s’il est indéniable que le coût d’une complémentaire santé est de plus en plus élevé pour les retraités, qui ne bénéficient pas d’une mutualisation aussi avantageuse que celle des salariés par le biais des contrats collectifs, les garanties de ces derniers sont plafonnées par la réglementation en vigueur.

Pour trancher, il faudra donc s’interroger sur l’objectif ultime de la réforme au regard des enjeux majeurs de santé dans notre pays. Les difficultés d’accès aux soins, la crise hospitalière et la crise sanitaire s’expliquent avant tout par des lacunes dans l’organisation des soins sur le territoire, par le manque de coordination entre les acteurs de santé, par la faiblesse de la culture de prévention en France et par une pandémie qui a pris au dépourvu tous les Etats.

Il faudra aussi s’interroger sur les conséquences d’une telle réforme, à commencer par ses effets sur le personnel concerné. Compte tenu de son impact sur le taux de prélèvements obligatoires, déjà le plus élevé de l’Union européenne (45%), et des tensions inéluctables sur les finances publiques, une « grande sécu » ne risque-t-elle pas de conduire, un jour ou l’autre, à la réduction du périmètre de remboursement des dépenses, et donc à une hausse du reste à charge (aujourd’hui le plus faible des pays de l’OCDE), ainsi qu’à une médecine à deux vitesses ? Il existera toujours des assureurs pour rembourser de nouveaux dépassements d’honoraires ou de nouvelles offres de santé, mais si cette assurance n’est plus obligatoire, seuls ceux qui pourront se l’offrir en bénéficieront.

En tout état de cause, quel que soit le scenario retenu, une chose est certaine : la réglementation du secteur va continuer à se renforcer. Les acteurs de l’assurance santé doivent donc se concentrer sur quatre sujets d’avenir dans une société marquée par l’allongement de la durée de la vie :

  • la prévention, dont l’importance a été soulignée durant la crise sanitaire et qui requiert des solutions sur mesure ;
  • la prévoyance, en raison de la diversité croissante des causes d’arrêts de travail ;
  • la retraite supplémentaire, compte tenu des projets de réforme des retraites et des opportunités permises par la loi Pacte ;
  • le maintien en autonomie et la dépendance, puisque la création de la cinquième branche n’a pas conduit à la mise en place d’une assurance dépendance publique.

Ces évolutions déjà en cours révèlent de nouvelles frontières pour les assurances de personnes. C’est le signe que la protection sociale est un sujet trop complexe pour ne mobiliser qu’un seul acteur : toutes les formes de mutualisation et de solidarités intermédiaires sont à l’œuvre pour éviter l’alliance risquée de l’étatisme et de l’individualisme.

Cécile Waquet
Associée YCE Partners

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