Assurance transport : Ever Given, entre gigantisme et responsabilités

© Suez Canal Authority

L’échouement de l’Ever Given en travers du canal de Suez pose de nombreuses questions, tant en termes de responsabilités que de règles d’indemnisation des sinistres avec ce type de navires hors normes.

Déjà impliqué quelques mois plus tôt dans une collision sur l’Elbe, l’Ever Given, porte-conteneurs battant pavillon panaméen et propriété de l’armateur japonais Shoei Kisen Kaisha, s’est échoué en travers du Canal de Suez le 23 mars dernier. Pendant 6 jours, le bâtiment qui mesure 400 mètres de long, 70 mètres de haut, et qui transportait près de 20.000 conteneurs, a bloqué le passage qui relie la mer Rouge à la Méditerranée où transite chaque année 10% du commerce maritime mondial.

Résultat, 425 navires se sont retrouvés amassés à l’entrée du canal, avec des impacts financiers conséquents. Selon Allianz, chaque jour de blocage aurait coûté entre 6 et 10Mds de dollars au commerce mondial et, selon les estimations, entre 3 et 9Mds de dollars de biens ont été soit bloqués, soit détournés. De son côté, la SCA, l’autorité du canal de Suez, a estimé que chaque jour de fermeture lui a fait perdre 15M de dollars de droits de douane. Avec près de 19.000 bâtiments qui empruntent chaque année cet axe stratégique, le canal est l’un des principaux atouts économiques de l’Égypte.

Contribution à l’avarie commune

Désormais, l’heure des comptes a sonné. « Compte-tenu de la taille de l’Ever Given, il s’agit d’un important dossier assurantiel, non pas sur les montants engagés, mais sur la complexité des procédures, notamment en responsabilités », explique, Mathieu Berrurier, directeur général du courtier Eyssautier Verlingue et président du collège Maritime et Transport de Planète CSCA.

En pareil cas, plusieurs règles d’indemnisation en vigueur interviennent, mais elles semblent inappropriées face au gigantisme de certains navires comme l’Ever Given. « D’abord, l’assistance et le sauvetage en mer, qui permet d’engager des moyens visant à sortir un bateau (navire) de toute mauvaise situation, sera sans doute la partie la plus coûteuse du sinistre. L’emploi de plusieurs remorqueurs et de plusieurs dragues pour dégager l’Ever Given devrait coûter plus de 100M de dollars. Ensuite, la contribution à l’avarie commune, via laquelle l’armateur et l’ensemble des chargeurs partagent les frais du sinistre (de l’assistance), devrait atteindre quelques centaines de millions de dollars. Mais la tâche s’annonce extrêmement difficile et longue pour concilier toutes les parties prenantes », précise ensuite Mathieu Berrurier.

Responsabilités en chaîne

le bâtiment n’ayant pas subi de dégâts matériels, l’assurance dommages, via la couverture corps et moteur, jouera sans difficulté dans ce cas de figure. Concernant les marchandises à bord, celles avariées ou abimées et qui se trouvent sur le bateau seront indemnisées, car l’échouement fait partie des causes de couvertures. « A contrario, pour les bateaux bloqués à l’entrée du canal de Suez, les conséquences, notamment dues au retard, ne seront pas prises en charge, sauf en cas de clauses spécifiques dans les contrats », précise ensuite Mathieu Berrurier avant d’enchaîner « sur le volet pertes financières, si les chargeurs de marchandises ne sont pas couverts via des contrats perte d’exploitation, aucune indemnisation ne pourra alors être versée ».

Mais c’est au niveau des responsabilités engagées sur ce sinistre que les choses risquent de se gâter. Les demandes de réparation de la grande majorité des parties lésées vont toutes converger vers l’armateur de l’Ever Given. « Les autres armateurs de bateaux bloqués ou encore le canal de Suez vont sans doute chercher à mettre en cause l’exploitant commercial du navire, même si la faute nautique du capitaine ne pourra pas s’appliquer. Pour autant, aux côtés des P&I Clubs (ndlr : qui couvrent le propriétaire du navire en responsabilité pour un total de 3,1Mds de dollars), le fonds de limitation de garanties régi par les conventions internationales en la matière va venir limiter toute action contre l’armateur à une quarantaine de millions de dollars maximum, ce qui va réduire la portée du sinistre estimé », explique ensuite Mathieu Berrurier.

Le dossier, même s’il sera au final relativement peu indemnisé, s’annonce toutefois complexe et long, sans doute de plusieurs années.

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