La mixité est un facteur de performance, cependant elle tarde à se mettre en place au sein des COMEX des grandes entreprises.
Les femmes représentent la moitié de la population française. Cependant en mars 2021, dix femmes seulement sont à la tête d’une entreprise du SBF 120, dont une seule femme au sein du CAC 40. Ceci est le reflet qu’il reste encore beaucoup à accomplir en matière d’égalité professionnelle dans le monde du travail.
Pourtant, au-delà du fait que cette iniquité est factuellement injustifiable, de nombreuses études montrent qu’avoir de la mixité s’avère être un véritable facteur de performance. Citons par exemple l’analyse 2021 de l’Observatoire SKEMA sur la féminisation des entreprises démontrant que plus le Comité exécutif est mixte, plus la rentabilité opérationnelle est importante.
La parité dans les instances dirigeantes est sous le feu des projecteurs, car en travaillant en priorité sur les plus hautes sphères décisionnelles de l’entreprise, des conséquences positives sur la population des femmes en général sont escomptées. Cette impulsion devrait amener les sociétés à revoir leurs modèles de promotion, d’augmentations salariales ou de recrutement.
Toutefois, il semble que l’autorégulation laissée aux entreprises ces dernières années soit insuffisante pour parvenir à une égalité entre les genres à ces niveaux. La Loi Coppé-Zimmermann, portant sur l’obligation d’avoir au moins 40% de femmes au sein du Conseil d’Administration a permis d’atteindre ces résultats 10 ans après son entrée en vigueur. Une législation contraignante semble inéluctable. Ainsi, la Loi Rixain votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale le 10 mai 2021 vise à accélérer l’égalité économique et professionnelle dans les instances dirigeantes. Cette loi prévoit que « les entreprises de plus de 1 000 salariés publient, chaque année, une photographie genrée des 10 % de postes à plus forte responsabilité en leur sein dans le but d’atteindre une proportion minimale de représentation d’un sexe parmi ces postes de 30 % à cinq ans et 40 % à huit ans ». Une sanction financière est ainsi prévue en cas de non atteinte de ces obligations. Sa promulgation par le Sénat est toujours en cours au moment où nous écrivons cet article.
Du côté de l’index égalité femmes/hommes, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, a promis en octobre dernier une concertation avec les partenaires sociaux pour définir un nouvel indicateur mesurant la part des femmes dans les cadres dirigeants. Ce critère pourrait s’avérer efficace pour lutter durablement contre le plafond de verre.
C’est peut-être grâce à ces deux nouvelles obligations de résultat que l’amélioration de la parité chez les dirigeants exécutifs va enfin s’accélérer.
Comités exécutifs : une parité toujours insuffisante au regard de la place des femmes dans le monde du travail
Les femmes représentent en moyenne 22% des Comités exécutifs des entreprises du SBF 120 et 21% des entreprises du CAC 40, alors que ces dernières constituent respectivement 39% et 38% de l’effectif total.
Huit groupes du SBF 120 n’ont aucune femme dans leur Comité exécutif, dont trois dans le CAC 40.
Cela reste une nette amélioration par rapport à la situation qui existait il y a une dizaine d’années (7% de femmes en 2009 dans les COMEX du CAC 40). Une augmentation soutenue a été constatée en 2020 (+3 points par rapport à 2019 pour atteindre 20%), mais une certaine stagnation est visible en ce début 2021 (+1 point).
Même si cela reste en augmentation, la féminisation des instances dirigeantes ne semble pas aller aussi vite que l’évolution des mentalités, et surtout de la demande sociale.
Des obstacles différents en fonction du secteur d’activité
L’analyse détaillée de la représentation moyenne des femmes dans les Comités exécutifs par rapport à leur représentation dans les effectifs totaux révèle deux grandes tendances.
D’un côté, un problème de mixité des métiers. Cela concerne les secteurs d’activité qui historiquement ont du mal à attirer une population féminine et qui à ce titre ont une part de femmes toujours très minoritaire dans leurs effectifs (automobile, énergie, industrie, transport, par exemple). Pourtant, ce sont les entreprises de ces secteurs qui ont le meilleur ratio, c’est-à-dire une part de femmes dans leur Comité exécutif la plus en adéquation avec la part des femmes dans leurs effectifs. Cela donne l’impression que la promotion interne fonctionne bien, mais que les efforts doivent plutôt se concentrer sur la manière d’attirer plus de femmes dans ces secteurs et ces métiers.
D’un autre côté, une promotion interne qui n’est pas équitable. Il semble que ce soient les secteurs les plus féminisés qui ont les plus mauvais ratios. Certains secteurs qui ont une population où les femmes et les hommes sont presque à égalité dans les effectifs voire où les femmes sont en majorité (pharma, médias, hôtellerie restauration divertissement, grande consommation ou services financiers, par exemple). Ces derniers ont des ratios égaux ou en dessous de 0,5, cela veut dire qu’ils ont plus de deux fois moins de femmes dans leur Comité exécutif que dans leurs effectifs totaux. Ces secteurs n’ont pas l’excuse du faible attrait de leurs métiers sur la population féminine, ou du manque de femmes en interne à faire évoluer. Ces sociétés doivent donc identifier les obstacles, dans leur politique RH, de gestion des talents et des carrières, voire dans leur culture, qui freinent, voire empêchent les femmes d’atteindre les niveaux les plus hauts de l’entreprise.
Les Comités exécutifs se féminisent surtout par les fonctions supports
Au-delà de la part des femmes dans les Comités exécutifs, il y a une forte disparité entre les postes occupées par les femmes et les hommes.
Des métiers qui restent encore très genrés
Les entreprises féminisent majoritairement les COMEX par les fonctions supports, c’est-à-dire l’ensemble des activités qui ne constituent pas le cœur de métier, mais qui sont là pour veiller au bon fonctionnement de l’entreprise et accompagner les équipes opérationnelles. Les femmes représentent 37% des fonctions supports.
À l’inverse, les femmes représentent en moyenne seulement 15% des fonctions opérationnelles, constituant le cœur du business. C’est un résultat universel, c’est à dire proche quel que soit le secteur d’activité (de 20% dans les secteurs les plus féminisés à 10% dans les secteurs les moins féminisés).
Des métiers qui restent encore très genrés
Sur le détail des métiers occupés par les femmes dans les Comités exécutifs, les stéréotypes semblent tenaces et tout ce qui commence dès l’école se perdure et se reflète en entreprise.
En effet, les fonctions où les femmes sont les plus représentées sont la communication, le marketing, les ressources humaines alors que les hommes se retrouvent massivement en finance, dans la direction de centre de profit, dans les opérations.
Les femmes arrivent à se faire une place dans les nouvelles fonctions comme la RSE et le Digital qui sont des fonctions qui siègent désormais dans les Comités exécutifs.
Cependant, il est clair que les entreprises ne parviennent pas encore à réparer les déséquilibres passés : l’évolution de l’espace occupé par les femmes dans les fonctions historiques des Comités exécutifs, comme la finance et les fonctions opérationnelles, reste très lente. Cela permettra difficilement d’accroître la part des femmes à la tête du SBF 120, sachant que les N°1 exécutifs viennent très majoritairement de ces fonctions historiques.
Une déconstruction des schémas préétablis et des fonctions occupées par les femmes et par les hommes semble indispensable pour parvenir à terme à une parité dans les Instances dirigeantes des entreprises.
Comment les entreprises peuvent-elles améliorer la part des femmes dans leurs Instances dirigeantes ?
Les entreprises n’ont pour la plupart pas attendu la loi Rixain pour se donner des objectifs de parité ambitieux au sein des instances de direction, ou pour mettre en place des leviers d’actions pertinents.
Ainsi, la moitié des entreprises du SBF 120 rendent public des objectifs chiffrés de féminisation des Instances dirigeantes. C’est évidemment un levier indispensable, une stratégie top-down payante, lorsque l’on souhaite à la fois recruter et promouvoir plus de femmes. À l’externe, les femmes sont plus enclines à postuler lorsqu’elles se sentent représentées au plus haut niveau de l’organisation. En interne, il y a fort à parier que la promotion de femmes managers concoure à la motivation des collaboratrices à tous les niveaux de l’entreprise.
La promotion active de femmes est permise également par l’obligation d’avoir des candidatures féminines dans les plans de succession ou les recrutements, mais aussi par la volonté de repérer et soutenir les talents féminins : formation, coaching, mentorat, création d’un Comité de pilotage des carrières féminines…
La priorité est également mise sur les politiques RH qui se doivent d’assurer la diversité et la mixité à tous les niveaux. Cela passe par une adaptation de l’organisation du travail en veillant à l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, en accompagnant les femmes lors de leur retour de congé maternité, mais aussi en aidant les hommes à réinvestir la sphère personnelle (congé paternité aligné sur le congé maternité). Puis surtout, par un changement des mentalités et règles du jeu (faire évoluer la culture d’entreprise, travailler sur les stéréotypes et les biais inconscients).
Les entreprises éprouvant des difficultés relatives à la mixité des emplois (souvent genrés en faveur des hommes) misent sur les réseaux féminins, l’intervention de femmes dirigeantes dans les collèges, les lycées, les universités ou écoles supérieures pour susciter des vocations notamment auprès des jeunes femmes dans des métiers à dominante masculine ou dans des métiers d’avenir comme le numérique, ou encore la création de commissions internes ou externes pour comprendre les réticences des femmes à intégrer ces filières masculines.
D’autres entreprises n’hésitent pas à indexer une partie de la rémunération variable des cadres dirigeants sur des objectifs de mixité et à décliner ce principe à l’ensemble des managers. Assimilable à une soft-law, cette intégration de critère de mixité dans la rémunération semble être le meilleur moyen de faire en sorte que les collaborateurs s’investissent sur le sujet à leur niveau et à parvenir à terme à des résultats concrets.
Enfin, de plus en plus d’entreprises misent sur une certification ou labélisation par des organismes indépendants reconnus pour mettre en avant les résultats de leurs actions en matière d’égalité professionnelle.
Le Comité exécutif doit envoyer un message fort
En conclusion, si l’égalité professionnelle, pourtant encadrée depuis 1972, reste encore un sujet en 2021, c’est aussi que beaucoup se joue avant l’entrée dans le monde du travail, parfois dès l’enfance. Cela dépasse bien entendu le seul monde de l’entreprise. Pourtant, les entreprises ont véritablement un rôle à jouer pour changer les mentalités : avec les moyens d’actions qu’elles ont à leur disposition et grâce au message qu’elles peuvent envoyer via leur Comité exécutif.
Féminiser ses instances dirigeantes c’est en effet montrer qu’une femme peut gravir les échelons et bénéficier de la même égalité des chances qu’un homme. Et lorsque ces dirigeantes occupent une fonction stratégique ou opérationnelle, cela confirme qu’une femme peut faire carrière dans n’importe quelle profession ou secteur.
C’est en cela que la féminisation des instances dirigeantes permettra de briser les stéréotypes, et de réparer les déséquilibres passés : en suscitant des vocations, en donnant envie à de jeunes filles de s’orienter vers des choix d’études sans peur, car elles seront rassurées par le rôle qu’elles peuvent jouer dans tous les métiers, sans exception.
Auteurs