Questions à Jean-Pierre MENANTEAU, Directeur Général du Groupe HUMANIS

Jean-Pierre MENANTEAU, Directeur Général du groupe HUMANIS, était l’invité du Déjeuner débat du CercleLAB le 8 avril 2016.

A cette occasion il nous et a présenté sa vision de l’avenir des Groupes de Protection Sociale.
1/ Le marché de la Santé et de la Prévoyance Complémentaire est principalement occupé par les organismes de gestion à but non lucratif sous gouvernance paritaire (les GPS). Ces entités sont fréquemment assimilées à des entités publiques (cf. Sécurité Sociale).Qu’est-ce qui les différencie fondamentalement des autres acteurs ?

Les groupes de protection sociale sont des réseaux 100% privés de sociétés de personnes (institutions de retraite, institution de prévoyance, mutuelles santé) à but non lucratif – le non lucratif n’est pas un monopole des entités publiques et a contrario les entreprises publiques par exemple sont à but lucratif – et à gouvernance paritaire (patronats et syndicats) et mutualistes. Ce sont donc leurs clients qui les ont créés, qui les développent stratégiquement et qui surveillent la mise en oeuvre des stratégies. Leur domaine fondamental de légitimité est la protection sociale complémentaire et supplémentaire. On leur doit par exemple les régimes Agirc Arrco qui ont toujours été gérés de manière responsable, dans la discrétion et qui n’ont jamais émis la moindre dette pour ajuster dans le temps ces régimes par répartition. 140 G€ d’ajustements économiques depuis 1990, zéro dette, 6% de rendement, qui dit mieux ? Savez vous qu’en Europe continentale, on peut estimer que la moitié des marchés bancaires et assurantiels sont gérés par des sociétés de personnes : coopératives, mutuelles, fonds de pension paritaires ? Je pense depuis longtemps que la nature de l’activité l’explique : la présence intermédiée des clients dans la gouvernance est un facteur de réassurance dans des activités immatérielles qui reposent intrinsèquement sur la confiance.

2/ Les groupes de protection sociale mettent généralement en avant une différenciation forte au niveau des valeurs. Quelles sont celles qui sont les plus porteuses, notamment de confiance ?

Les groupes de protection sociale portent bien entendu les valeurs que portent bien d’autres entreprises – ce sont des réseaux d’entreprises avec des comptes de résultat et des bilans, et des entreprises qui ne reçoivent pas de subventions spécifiques et qui comptent donc sur leurs propres forces – et celles d’acteurs à long terme dans des activités régulées.

En plus, du fait de leur gouvernance clients en réseaux maillés coopératifs et de leur but non lucratif au service de leurs clients, ils portent effectivement des valeurs originales bien adaptées à leurs territoires stratégiques d’activité, en particulier :

  • Le caractère non lucratif, qui se traduit notamment par la conduite avec passion de missions d’intérêt général à marge zéro (retraite complémentaire, action sociale) ;
  • Les groupes de protection sociale n’arbitrent pas leur portefeuille stratégique d’activités concurrentielles sur la base de maximisation de la rentabilité de leur activité, mais partent d’abord des besoins de leurs clients puis construisent des solutions durablement rentables dans un souci de bonne gestion à long terme ;
  • La neutralité dans le dialogue social : réunissant les parties prenantes dans une gouvernance démocratique paritaire, ils sont les seuls acteurs consubstantiellement neutres dans l’aide à la conception des politiques sociales et dans leur mise en œuvre. Ils disposent de ce fait d’une capacité sans équivalent de dialogue et de réduction des incompréhensions réciproques entre partenaires sociaux dans les entreprises, dans les branches et au niveau interprofessionnel ;
  • La recherche de la « stakeholder value » et non de la « shareholder value » : ce sont les conseils d’administration paritaires qui décident de l’affectation des résultats pour la recherche et le développement ou encore l’action sociale, ce qui leur permet de favoriser les solutions d’utilité sociale (mutualisation, action sociale, etc.).
  • La solidarité, donc l’attachement à des solutions collectives et à des solutions articulant des solutions collectives et à des solutions individuelles dans un souci constant d’équité. Les groupes de protection sociale interviennent principalement via des contrats collectifs d’entreprises ou de branches professionnelles dont les vertus (faibles coûts de gestion, pas de sélection ou de segmentation, etc.)

3/ La structure même des GPS leur permet – semble-t-il – d’envisager des actions à long terme et de mettre en place des politiques socialement responsables. Comment cela se traduit-il concrètement ?

La « stakeholder value » permet effectivement de se focaliser sur les enjeux clients et de résister autant que possible à « la dictature du court terme ». De toute façon pour garantir la bonne gestion de droits de retraite à 75 ans plus un trimestre de plus par an, le long terme est une évidence concrète quotidienne. Un exemple du long terme c’est aussi notre histoire : chez Humanis, d’après nos dernières recherches, notre racine la plus ancienne date de 1878 avec la création de la caisse de retraite des commis des agents de change à Paris, puis la mutuelle Renault dès 1911, puis la protection sociale dans le Nord en 1927, puis le début de l’aventure de la retraite des cadres et des ingénieurs en 1937 avec Apri etc.

La politique socialement responsable la plus spectaculaire est la politique d’action sociale. Quelle entreprise ne rêverait-elle pas de consacrer, comme Humanis, 80 M€ par an à la prévention, à la dépendance, au handicap, aux retraités ou d’avoir 6,3 millions de visiteurs sur son site internet consacré à l’autonomie ?
Les groupes de protection sociale sont donc une vraie richesse originale pour notre pays au côté des autres acteurs de l’assurance et de la protection sociale. Ils ne sont d’ailleurs pas une exception française. La gouvernance par les clients et spécifiquement la gouvernance par les partenaires sociaux existe dans tout l’OCDE. Savez vous que l’Association Européenne des Institutions Paritaires coopère techniquement avec ses homologues américain, canadien et australien ?

4 – A la fin du siècle dernier, de nombreux groupes de protection sociale se sont lancés dans une diversification assurantielle (assurance vie, assurance dommage,…),… sans grand succès. L’évolution de l’offre vers les entreprises paraît devoir s’appuyer sur des services nouveaux ; que peut-on envisager en la matière ?

Ce qui est fondamental pour nous c’est de continuer à partir des besoins des clients tout en construisant une chaîne de valeur pertinente et efficace. Pour construire ces chaînes de valeur, chez Humanis, nous sommes délibérément construits en architecture fédérale collaborative et multi-affinitaire ouverte à de nombreuses coopérations techniques, commerciales et financières.

Par exemple, le « well being at work » est ainsi une dimension croissante dans les entreprises. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans. Par ailleurs, le rapport au travail social a profondément changé.
Au-delà des groupes de protection sociale, cette mutation des besoins peut aller très loin : avez vous remarqué que les GAFA ont annoncé qu’ils allaient construire des environnements de travail et de vie complets pour leurs salariés, jusqu’à des villes ? On voit ainsi resurgir en pleine troisième révolution industrielle fulgurante des modes de pensée qui avaient construit les protections sociales privées et publiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Quand je vois Google s’intéresser au logement de ses salariés, je repense à la loi Ribot de 1909 qui a construit l’accession au logement en France sous l’impulsion du patronat industriel du Nord – première politique généralisée en France, mais aussi à ces employeurs privés et publics qui découvrent avec effarement que certains salariés ou fonctionnaires – donc pas des exclus – vivent…dans des voitures en 2016 !

Jean-Pierre MENANTEAU, Directeur Général du groupe HUMANIS

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