Parole d’experts – Fusion AGIRC ARRCO – Avril 2018

Kerialis avocat
Kerialis est une institution de prévoyance qui couvre historiquement les salariés des cabinets d'avocats.

La notion de « cadre » a-t-elle encore du sens ?

La retraite complémentaire, la prévoyance des Cadres et les catégories objectives de personnel.

Annoncé par un accord national interprofessionnel (ANI) du 30 octobre 2015, le régime unifié de retraite complémentaire des salariés va effectivement voir le jour au 1er janvier 2019.

Les institutions de l’AGIRC et de l’ARRCO fusionnent et les textes fondateurs que sont la Convention collective nationale (CCN) du 14 mars 1947 et l’ANI du 8 décembre 1961 disparaissent au profit du nouvel ANI du 17 novembre 2017.

Au-delà du choc induit par la disparition d’un système de retraite existant depuis plus de 70 ans (1), cette réforme va bouleverser, par ricochet, tous les régimes de protection sociale complémentaire (prévoyance, santé et retraite supplémentaire à cotisations définies) en vigueur au sein des entreprises en touchant à l’obligation patronale de cotisation minimale au titre de la prévoyance des cadres (dite « 1,50 % tranche A ») (2) et à la définition des catégories de personnel bénéficiaires validées par les URSSAF (3).

1. La retraite complémentaire

Dans la continuité du régime général d’assurance vieillesse, tous les salariés, et les mandataires sociaux assimilés, bénéficieront dorénavant d’un régime unique de retraite complémentaire sans référence à leur catégorie socioprofessionnelle.

Les nouveaux taux de cotisations seront fixés sur deux tranches de rémunération, la tranche inférieure au plafond de la Sécurité sociale (tranche 1) et celle comprise entre 1 et 8 plafonds (tranche 2). Ils seront appelés à 127% et pris en charge à 60% par l’employeur et 40% par les salariés (sous réserve des anciennes pratiques dérogatoires en vigueur au sein de certaines entreprises qui pourront être maintenues dans les mêmes conditions qu’auparavant).

Les points de retraite seront affectés sur un compte unique, sur lequel figureront, après conversion, les anciens points acquis avant le 1er janvier 2019 au titre de l’AGIRC et de l’ARRCO et les bénéficiaires ne liquideront plus qu’une seule et même pension.

« Cette mesure de simplification et de rationalisation va néanmoins engendrer une augmentation des coûts salariaux des entreprises »

Cette mesure de simplification et de rationalisation va néanmoins engendrer une augmentation des coûts salariaux des entreprises dans la mesure où le taux global de cotisations acquittées sera, toute catégorie de personnel confondue, plus élevé qu’aujourd’hui.

Parallèlement à cet ANI signé le 17 novembre 2017 portant exclusivement sur la retraite complémentaire, une négociation interprofessionnelle s’est ouverte sur l’encadrement laquelle a vocation à traiter, notamment, de la prévoyance spécifique des cadres. Elle a pour l’instant donné lieu à un premier projet d’ANI issu de la réunion de négociation du 13 mars dernier.

2. La prévoyance des Cadres

En 1947, dans un contexte d’après-guerre pendant lequel l’espérance de vie était plus courte et les statuts cadre / non cadre très différenciants (notamment en termes de niveau de salaire et donc, de taux de remplacement de la Sécurité sociale), les cadres ont « joué cavalier seul » en instituant, à leur profit exclusif, des caisses de retraite complémentaire et un régime de prévoyance « décès » visant à répondre à leurs problématiques spécifiques en matière de protection sociale.

A ce titre, tout employeur doit verser au profit de ses salariés relevant des articles 4 et 4 bis de la CCN de 1947, une cotisation à sa charge exclusive égale à 1,50 % de la tranche de rémunération inférieure au plafond de la Sécurité sociale, laquelle doit être affectée par priorité au risque décès. À défaut, l’employeur est tenu de payer aux ayants-droit du cadre décédé une somme égale à trois fois le plafond de la Sécurité sociale, qui plus est, soumise à cotisations de Sécurité sociale.

Ce dispositif a toujours suscité de nombreuses difficultés d’interprétation. On citera pour exemple : le niveau de financement à respecter pour un cadre dont la rémunération n’atteint pas le plafond de la Sécurité sociale (situation inenvisageable en 1947) ; l’interprétation à retenir de la notion d’affectation prioritaire au décès (bouleversée par les évolutions de la tarification du risque « décès » au fil du temps) ; la nature des risques pouvant être financés par cette cotisation et surtout la question de savoir si les frais de santé sont de la prévoyance au sens de ce texte. Malgré ses imperfections, il présente au moins l’avantage de s’appliquer dans les mêmes termes, et sans distinction, à toutes les entreprises et à tous leurs salariés cadres. Les débats sont les mêmes pour tous et les réponses, le cas échéant, apportées par les juges, transposables à tous.

Le projet d’ANI du 13 mars 2018 a le mérite de répondre à certaines questions.

Il précise que cette cotisation peut financer diverses garanties « telles que, notamment le décès, l’incapacité ou l’invalidité, mais également d’autres garanties collectives que les partenaires sociaux de la branche jugeraient utiles ». Dès lors, plus de doutes que, si le texte est définitivement conclu en l’état, le financement par l’employeur de garanties de frais de santé pourra être pris en compte pour atteindre son obligation. Exit également la notion d’affectation prioritaire au décès. De même, toute sanction à la violation de cette obligation pourrait disparaître.

Pour autant, ce projet ne manquera pas de soulever de nouvelles difficultés dans la mesure où il donne pouvoir aux partenaires sociaux de chaque branche professionnelle de définir tant le champ d’application que le contenu de l’obligation spécifique de prévoyance qu’ils entendent instituer au profit de ceux qu’ils décideront de qualifier de cadres.

Or, comment définir de la manière la plus juste et justifiée les salariés qui méritent de bénéficier d’une contribution patronale plus élevée que les autres pour le financement de leur couverture de prévoyance ? Plutôt que de la réécrire, le moment n’est-il pas venu de supprimer cette obligation spécifique qui, 70 ans après sa création, n’a plus véritablement de raison d’être ? N’y a-t-il pas une forme de contradiction à unifier les caisses de retraite complémentaire tout en maintenant l’obligation de prévoyance spécifique, les besoins des salariés étant manifestement identiques ? Ce mouvement d’harmonisation, voire de généralisation, des régimes de prévoyance avait d’ailleurs été annoncé au sein de l’article 1er de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.

3. Les catégories objectives de personnel

Depuis un décret du 9 janvier 2012, l’article R.242-1-1 du code de la Sécurité sociale énumère cinq critères auxquels les entreprises peuvent avoir recours pour définir les bénéficiaires de leurs régimes de protection sociale complémentaire tout en ménageant leur caractère collectif et partant, l’exonération de cotisations de Sécurité sociale de leur financement patronal. Parmi ces critères figure notamment, en première position, « l’appartenance aux catégories de cadres et de non cadres résultant de l’utilisation des définitions issues des dispositions des articles 4 et 4 bis de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et de l’article 36 de l’annexe I de cette convention ».

Ce critère n°1 a d’autant plus été utilisé par les entreprises qu’il permet de bénéficier d’une présomption de conformité aux règles d’exonération tant en matière de retraite à cotisations définies, que de prévoyance « incapacité-invalidité-décès » et de frais de santé, sous réserve, dans cette dernière hypothèse, que l’ensemble des salariés soit couvert.

Comment identifier à l’avenir les salariés relevant des articles 4, 4 bis et 36 de la CCN de 1947 ? Ou encore, les salariés affiliés à l’AGIRC, comme jusqu’à présent autorisés par la doctrine administrative ?

Après avoir passé presque trois ans à formaliser l’ensemble des régimes des entreprises pour remplacer la terminologie classique de « cadres » et de « non cadres » par des références exclusives aux articles de la CCN de 1947, il va désormais falloir tout déconstruire afin de supprimer ces références qui deviennent de fait sans objet au 1er janvier prochain.

Mais pour y substituer quoi ? Impossible à dire tant que l’article R.242-1-1 n’a pas été modifié et qu’un nouveau critère n’a pas été défini. Que peut-on imaginer si ce n’est de revenir à une définition « de droit du travail » des catégories socioprofessionnelles de cadres et de non cadres. Et, qui sait, voilà peut-être le grand retour de la catégorie des « cadres dirigeants » !

En ce sens, l’actuel projet d’ANI sur l’encadrement semble effectivement donner toute sa place aux branches professionnelles pour définir librement ce qu’il convient d’entendre par un « cadre ».

En pratique, on peut néanmoins craindre qu’une telle modification soit source de difficultés au sein des entreprises, qui, pour beaucoup, ont eu coutume d’assimiler leurs salariés non cadres relevant de l’article 4 bis de la CCN de 1947 à des cadres pour le bénéfice des régimes de prévoyance notamment (et pour cause, ils étaient pareillement tenus pour ces derniers par l’obligation du « 1,50% tranche A »). Un futur découpage limité à la définition « travailliste » des cadres conduira donc à déqualifier les anciens « article 4 bis » en les basculant à l’avenir dans les régimes de protection sociale complémentaire des salariés non cadres.

En réalité, il faudrait sans doute aller jusqu’au bout de cette réforme et supprimer le concept même de cadre

En réalité, il faudrait sans doute aller jusqu’au bout de cette réforme et supprimer le concept même de « cadre » dont le fondement historique était précisément l’existence d’un régime de retraite complémentaire spécifique. Ce fondement ayant disparu, la définition et la raison d’être de cette catégorie de personnel sont à repenser entièrement. Ce n’est peut-être pas peine perdue car nous n’en sommes, après tout, qu’aux prémices d’une longue négociation d’ampleur dont on ne peut qu’espérer qu’elle appréhendera, au moins en partie, ces difficultés.

À suivre donc…

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Contact

Charlotte Bertrand
Avocate Associée, Cabinet Fromont Briens

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