CHAPITRE 1

ENTRE PETITES TOUCHES ET TENTATIVES AVORTÉES

Les tentatives de réformes du régime des catastrophes naturelles ont été nombreuses depuis sa création en 1982. Mais elles ont toutes été enterrées et repoussées sine die. Le même résultat semble une nouvelle fois se profiler.


Par Florian Delambily

Le 30 septembre 2018, le président de la République est en visite à Saint-Martin. L’île se reconstruit tout doucement, un an après le passage de l’ouragan Irma, le plus violent qu’ait connu ce territoire français de 53,2km2, grand comme la moité de Paris. Entre les 5 et 6 septembre 2017, des vents d’une rare violence – jusqu’à 244km/h en rafale – et des pluies diluviennes s’abattent sur les Saint-Martinois.
Le bilan est lourd. 11 personnes ont perdu la vie dans cette catastrophe. 95% du bâti est endommagé et 19,7% des bâtiments sont totalement détruits ou très endommagés selon les données fournies par le programme spatial Copernicus. Côté assurance, les chiffres sont tout autant pharamineux : 25.600 sinistres pour un coût total estimé à 1,9 milliard d’euros..

Devant une telle ampleur, Emmanuel Macron annonce, le 30 septembre 2018, une refonte du régime des catastrophes naturelles. Il ne donne pas d’orientations précises, mais prône « un système plus rapide et plus incitatif ». Il se montre en revanche plus clair sur le calendrier et annonce un projet « d’ici à l’été 2019 ». Pourtant, force est de constater que rien n’est encore sorti.

Un mois plus tard, les gilets jaunes commençaient à déferler sur les Champs-Elysées et les ronds-points, reléguant la réforme tout en dessous de la pile des dossiers légilsatifs. Une fois de plus.

Car depuis 1982 et la mise en place du régime, les tentatives de réformes ont été légions et souvent consécutives à une grande catastrophe naturelle.

Mais comme le note une étude d’impact réalisée dans le cadre d’un projet de loi portant réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles du mois d’avril 2012, aucune modification majeure n’a été introduite depuis 1982. Et d’ailleurs, le projet de loi porté par le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, François Baroin ne dépassera pas le stade du dépôt au Sénat.

Trois ans plus tard, le sujet refait surface, mais cette fois- ci à l’initiative de l’Association française de l’assurance, ancêtre de la FFA. Nous sommes en pleine COP 21 à Paris et les assureurs profitent de ce coup de projecteur sur le climat pour sortir du bois et proposer « une modernisation du régime d’assurance contre les catastrophes naturelles ».

Ils plaident pour ouvrir la possibilité de fixer librement les franchises pour un montant de capitaux supérieurs à 50 millions d’euros. Ils souhaitent transférer le risque sécheresse sur la RC décennale, intégrer la prise en charge des frais de relogement par le régime ou encore rendre obligatoire et contrôler l’application d’un volet dédié à la prévention des risques d’entreprises dans les Plans de prévention des risques naturels (PPRN).
Mais une fois encore, le dossier est envoyé aux oubliettes.

En 2019, et malgré la volonté affichée du chef de l’État, les espoirs de certains semblent douchés. « La réforme ne se fera pas avant la fin du quinquennat », estime Adrien Couret, directeur général de Macif. Un nouveau rendez-vous manqué.

LES PRINCIPALES ÉVOLUTIONS DU RÉGIME

  • Le régime cat’nat’ est étendu aux départements et aux collectivités d’Outre-Mer.

  • La notion de dommages non-assurables est ajoutée dans la loi portant création du régime de
    1982. L’objectif était d’éviter que certains dommages indemnisés via les contrats d’assurance classiques ne soient pris en charge par le régime.

  • Un arrêté du 5 septembre modifié par un arrêté du 4 août 2003, instaure une modulation des franchises.

  • Les dommages causés par des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines ou à des marnières entrent dans le cadre d’indemnisation du régime.

  • De nouvelles dispositions destinées à faciliter la saisine du Bureau central de tarification (BCT) sont introduites dans la loi.

  • La loi du 13 août renforce la transparence des arrêtés interministériels. Les décisions doivent être notifiées aux communes et motivées.

  • instauration d’un délai de prescription pour les demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il est fixé à 18 mois.

CHAPITRE 2

UN RÉGIME ROBUSTE, MAIS SOUS TENSION

Le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est encore loin d’avoir franchi le seuil d’alerte. « CCR peut faire face sur l’exercice 2019 à une sinistralité Cat’ Nat’ de 4,5 milliards d’euros sans recourir au soutien de l’État », pouvait-on ainsi lire dans le rapport annuel 2018 du groupe de réassurance publique. Mais ce matelas est en très nette baisse depuis 2015. Il a chuté de 22,4%, soit 1,3 milliard d’euros en moins en 4 ans.

Certes, l’activité du groupe augmente régulièrement ces dernières années, mais la charge de sinistres aussi et plus vite, avec une année 2017 particulièrement consommatrice durant laquelle elle était presque 3 fois supérieure au chiffre d’affaires.

Interrogé par la mission sénatoriale sur la réforme du régime des catastrophes naturelles, Bertrand Labilloy, directeur général de CCR prévenait : « Il est prévu une augmentation de l’ordre de 30 à 50% de l’intensité et de la fréquence des éléments naturels et de la concentration des personnes et des activités économiques dans les zones exposées. C’est pourquoi, à l’horizon 2050, il faudrait passer d’un taux de surprime de 12 à 18%, sauf à développer les mesures de prévention nécessaires pour réduire la vulnérabilité des personnes et des entreprises. »

Conversation entre une sénatrice de la mission sénatoriale de la réforme du régime

Selon le dirigeant du réassureur public, le législateur ne pourra donc pas faire l’économie d’une révision des taux de surprime. Un débat qui n’est pas sans rappeller celui sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) après la vague d’attentats meurtriers qui avait touché la France en 2015 et 2016.

La taxe attentat était alors passée à 5,90 euros pour tenter de pérenniser le financement du fonds de garantie.

En vain, les résultats financiers 2018 du fonds de garantie ont fait ressortir un déficit de fonds propres de 4,5 milliards d’euros au 31 décembre.
Le régime Cat’ Nat’ n’en est pas encore là, mais la crue de la Seine en 2016, les oura- gans dans les Caraïbes en 2017 montrent que la France demeure vulnérable à des épisodes de grande ampleur. Le changement climatique semble également faire son oeuvre avec une multiplication d’événements de plus faible intensité, mais qui mis bout à bout alourdissent la facture pour le secteur de l’assurance et in fine le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

CHAPITRE 3

LES PISTES DE RÉFORME DU RÉGIME CAT’ NAT’

En attendant une hypothétique réforme du régime Cat’ Nat’, les missions d’information et les rapports parlementaires s’enchaînent aussi bien palais Bourbon que palais du Luxembourg. La mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation du Sénat est la première à dégainer ses 36 propositions au mois d’avril dernier.

Elle recommande notamment de supprimer les modulations de franchises en fonction de l’existence d’un plan de prévention des risques naturels, de plafonner les franchises légales applicables aux petits commerçants, d’intégrer dans le code des assurances une disposition sur la garantie d’une réparation pérenne et durable ou encore d’harmoniser les pratiques et les référentiels en vigueur pour les experts d’assurance et d’assurés. Le Sénat préconise également la prise en charge des frais de relogement d’urgence et de porter à 20 jours le délai de déclaration de sinistre après la publication de l’arrêté Cat’ Nat’.

Côté prévention des risques, la mission d’information suggère de créer « une journée nationale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles le deuxième mercredi du mois d’octobre, date de la journée mondiale établie à l’initiative de l’ONU, avec un temps réservé dans les établissements scolaires » ou encore expérimenter la mise en place d’un diagnostic Cat’ Nat’ « simple, lisible et peu onéreux qui serait fourni par le vendeur lors d’une cession de bâtiment, sur le modèle du diagnostic de performance énergétique ».

Transfert du risque sécheresse sur la construction

Quelques semaines après le rapport sénatorial, c’était au tour de l’Assemblée nationale et plus particulièrement du groupe de travail assurance de livrer ses pistes de réforme. Les députés emmenés par Valéria Faure-Muntian, ont dévoilé des propositions, dont certaines sont plus orientées sur l’Outre-Mer.

Ils préconisent ainsi d’encadrer les prix de la réassurance publique pour les assureurs intervenants dans les territoires ultramarins. Par ailleurs, conscients de la faible diffusion de l’assurance dommages des particuliers dans les TOM, le groupe de travail propose d’élaborer un plan visant à développer la couverture assurantielle sur ces territoires. Alors que la France métropolitaine dépasse un taux d’équipement de 95%, il peine à dépasser les 50% en Outre- Mer.

Les députés s’interrogent par ailleurs sur la pertinence de transférer une partie d’une partie du risque sécheresse à l’assurance construction, notamment s’agissant des ouvrages de moins de 10 ans. Pas sûr que les assureurs concernés apprécient l’initiative sur un segment de marché déjà en tension sur le volet responsabilité civile. Pour autant, le risque sécheresse coûte cher au régime. Entre 1989 et 2017, le coût moyen d’une reconnaissance sécheresse s’est élevée à 244.000 euros, contre 140.000 euros pour l’inondation. La sinistralité liée à la sécheresse a représenté 12 milliards d’euros depuis 1982, soit 34% des indemnisations versées au titre du régime Cat’ Nat’.

Enfin, comme leurs collègues sénateurs, les députés demandent la prise en charge des frais de relogement dans le cadre du régime.

Un point qui divise la profession. Auditionné par la mission d’information sénatoriale au mois de février dernier, Stéphane Pénet, directeur des assurances de dommages et de responsabilité à la FFA, estimait ainsi que « les frais de relogement des personnes dont le logement a été rendu inhabitable doit être pris en charge par le régime ». Mais pour Bertrand Labilloy, directeur général de CCR, ce principe pourrait se heurter à l’obstacle du financement. « La prime Cat’ Nat’ représente 12% de la prime totale. Il faudrait aligner les garanties du contrat de base et celles de l’extension Cat’ Nat’, sinon vous introduisez une charge pour le régime – donc pour CCR et pour l’État, – à laquelle ne correspond aucune prime. Vous créez alors un mécanisme de subvention », prévenait-il devant le groupe parlementaire.

Côté FFA, le principal point sur lequel se sont positionnés les assureurs est celui des franchises. Ils plaident pour une liberté de fixation de leurs niveaux s’agissant des entreprises réalisant plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, « car elles ont les moyens d’assurer leur propre prévention » et pour les collectivités locales, quelle que soit leur taille, « parce qu’elles ont un devoir d’exemplarité ». Pour le reste, ils souhaitent que le système actuel reste identique, avec simplement le plafonnement à 10.000 euros de la franchise pour les commerçants et artisans. « À Nemours, après les inondations de 2016, nous avons vu des commerçants qui n’ont pas pu redémarrer leur activité à cause de la franchise de 10%, alors même qu’ils étaient bien assurés », déclarait Stéphane Pénet aux sénateurs.

CCR adhère à cette volonté de plafonnement pour les petits commerçants, mais souhaiterait y ajouter une pointe de modularité pour les particuliers. « CCR considère que le système de franchise pourrait être amélioré ; il faudrait qu’elle soit exprimée en pourcentage du sinistre pour tout le monde, y compris pour les particuliers, car un montant absolu ne représente pas la même charge selon le niveau de vie et la qualité du bien immobilier », selon Bertrand Labilloy. Un principe rassemble tous ceux qui planchent sur cette réforme : celui de la prévention. Le futur régime revu et corrigé devra inciter à plus de prévention. Et le fonds Barnier pourrait devenir l’instrument de ce nouveau pan. Encore faut-il que lui aussi soit réformé.

CHAPITRE 4

LE FONDS BARNIER DANS LE COLLIMATEUR

Quand on interroge les assureurs sur le fonds Barnier, une forme de découragement s’empare des interlocuteurs. « Le Fonds Barnier, je ne préfère pas en parler », balayait d’un revers de la manche Thierry Martel, président de l’AAM, devant la presse à la fin du mois de novembre. À l’origine, comme son nom l’indique, le Fonds de prévention des risques naturels majeurs était destiné à la prévention. Mais depuis, son rôle a été dévoyé comme le décrit la Cour des Comptes dans un rapport remis en mars 2017.

 

Depuis sa création en 1995, le FPNRM « est devenu la principale source de financement de la politique de prévention des risques naturels sans aucune stratégie autre que la volonté de reporter (…) une partie de la charge financière des actions de l’État sur celui-ci », écrivaient les sages de la rue Cambon.

Peu à peu, le fonds Barnier, s’est donc retrouvé à financer des dépenses ordinaires de l’État, comme par exemple des études ou des subventions aux collectivités locales. Celles-ci, limitées jusqu’en 2004 à environ 10 millions par an, ont atteint 100 millions d’euros dès 2007, puis 158 millions d’euros en 2014 « en raison d’un champ d’intervention régulièrement élargi », déplorait le président de la Cour des comptes, Didier Migaud, dans une lettre aux ministres de l’Environnement et de l’Économie de l’époque.

En raison du plafonnement des ressources du fonds, la Cour des comptes craignait tout simplement un assèchement de sa trésorerie. Après plusieurs années de recettes supérieures aux dépenses, l’État avait pris la décision de plafonner les ressources du fonds à concurrence de 137 millions d’euros en 2018, puis 137 millions d’euros en 2019. L’excédent issu des prélèvements sur les contrats d’assurance étaient réaffectés au budget de l’État, soit entre 75 et 80 millions d’euros. Le résultat fut des déficits constatés en 2018 et en 2019, le ministère de la Transition écologique prévoyant un assèchement de la trésorerie du Fonds à horizon 2022.

À l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, des députés de la France Insoumise ont déposé un amendement visant « à supprimer le plafonnement des ressources affectées au fonds national de prévention des risques naturels majeurs, dit ‘fonds Barnier’ et donc à augmenter le financement de la prévention des risques ». Une proposition qui rejoint celles portées par le groupe de travail de l’Assemblée nationale et de la mission sénatoriale d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation.

Mais au-delà de l’aspect financier du fonds, beaucoup lui reprochent son opacité. « On ne comprend pas comment sont prises les décisions de subventions et qui les prend », pointe un observateur. Pour Jacques Richier, PDG d’Allianz France, la prévention des risques naturels doit devenir un axe majeur de la politique publique. « À un moment donné, cela va devenir insoutenable », souligne-t-il, en évoquant la succession d’inondations, de tempête et de séisme survenus ces dernières semaines sur le territoire métropolitain.
Une première estimation des inondations qui ont frappé le Var le 23 novembre dernier faisait état d’une facture de 285 millions d’euros. Un chiffre qui sera revu à la hausse et auquel s’ajoutera celui des inondations survenues dans le même département une semaine plus tard.