Les investissements en actions menacés par Solvabilité II ?

    Les assureurs ont déjà commencé à réduire leurs investissements en actions au profit des obligations, moins contraintes par la réforme de Solvabilité II. Mais l’équation n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.

    La prochaine entrée en vigueur de Solvabilité II va modifier les stratégies d’investissement des assureurs français. Alors qu’auparavant les régulateurs raisonnaient par seuil d’investissement, ils vont dorénavant traiter les actifs en fonction du risque qu’ils représentent. « Avant, on avait un certain niveau de capital requis dicté essentiellement par le volume de primes et d’encours qu’on gérait. Avec Solvabilité II, chaque classe d’actif dans laquelle on investit génère son propre niveau de capital requis », explique Pierre Planchon, responsable du pôle assurance chez Ernst&Young.

    Les asset managers vont donc scruter les différents placements au prisme d’un certain nombre de critères, comme par exemple la transparence, les effets de levier, la volatilité ou encore les problématiques de liquidité. Comme prévu, ce sont les investissements en actions qui nécessitent le plus grand niveau de capital requis. Et plus l’entreprise présente un risque, plus ce niveau augmente.

    Les actions représentent 17,3% du portefeuille

    De quoi inquiéter la FFSA qui, si elle estime que les assureurs sont prêts pour la réforme, cherche à retravailler certains éléments et pointe du doigt l’impact de Solvabilité II sur le financement des entreprises françaises. En 2010, les actions d’entreprises représentaient 291,3Mds d’euros dans le portefeuille des assureurs français, soit 17,3% des 1.683,9Mds d’euros d’actifs gérés. Une proportion qui a connu des jours meilleurs. Le mouvement s’est amorcé avant même Solvabilité II. Ainsi, entre 2000 et 2010, les actions et OPCVM à revenus variables sont passés de 27,4% à 23,8% en proportion des portefeuilles des assureurs qui n’ont cessé de croître.

    « L’horizon est de plus en plus court, explique-t-on chez Axa. Avec la réforme Solvabilité II tel qu’on la connaît actuellement, en face des obligations d’Etat il y a 0 euro en capital requis, alors qu’en face des actions, il faut provisionner 29 à 49%. » D’où une réduction du portefeuille d’actions au profit des obligations. Au premier semestre 2011, les actions représentaient seulement 4% des actifs du fonds général d’Axa, contre 83% d’obligations. Et les flux entrants ont été investis sur des obligations d’entreprises et d’Etat.

    Même constat chez CNP Assurances, où la tendance est à la baisse des investissements actions au profit des obligations. Au 30 juin 2011, l’assureur détenait 9,3% d’actions et d’OPCVM actions en portefeuille.  « L’exposition des assureurs en actions a été divisée par deux depuis 2007, confirme Pierre Planchon chez Ernst&Young. Un certain nombre d’acteurs se défont de la partie private equity qui, dans la partie actions, est la plus chère en capitaux propres. C’est un peu triste car c’est celle qui a normalement les plus grosses perspectives de croissance. »

    Un mouvement qui devrait continuer…

    Peut-on s’attendre à ce que ce mouvement continue ? Oui, selon le cabinet Ernst&Young. D’ailleurs, ce comportement ne s’explique pas seulement par le changement de réglementation : « Nous sommes sur un marché où il y a une déconnexion entre les fondamentaux et les performances observées. Les risk managers ne comprennent plus ce marché et préfèrent en sortir », continue Pierre Planchon.

    Même conséquence pour les autres investissements de nature assimilée action, comme les hedge funds par exemple, une classe d’actifs contrainte par une charge très élevée en capital, environ 49% (à plus ou moins 10%, selon Ernst&Young). « En termes d’équilibre de bilan pour un assureur c’est monstrueux, cela augmente terriblement le poids capitalistique », assure Pierre Planchon.

    …Mais pas de l’avis de tous

    Mais, selon d’autres analystes, certaines classes d’actions d’entreprises solides peuvent encore être intéressantes.  Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet Fact&Figures, reconnaît que le raisonnement logique voudrait que les assureurs n’aillent plus vers les actions mais vers des produits plus sécurisés, comme du monétaire ou de l’obligataire. Problème : « aller sur du monétaire à 1% c’est faire le choix d’avoir des actifs qui soient rémunérés moins que l’inflation », explique l’expert.

    La solution « obligations » n’est pas plus heureuse : « Nous savons que la note de la France sera prochainement dégradée et qu’elle sera incapable de rembourser sa dette à terme. Il y aura donc sûrement un scénario du type inflation pour épuiser la dette. » Ainsi, investir en actions (à côté d’autres types d’actifs comme les obligations corporate), alors même que les marchés sont volatiles et que Solvabilité II pénalise ce comportement, n’est pas la solution la plus absurde selon lui.

    « Cela peut concerner certains assureurs qui aujourd’hui sont relativement peu exposés en actions et ont suffisamment de marge de solvabilité. Ils pourront profiter de l’opportunité de marché sur des titres très fortement décotés de sociétés bien présentes à l’international et en dehors de la zone euro. Les entreprises du luxe, notamment, ne sont pas à exclure. »

    2011 a amené à reconsidérer l’actif sans risque    

    La Maif a intégré cette stratégie : sa part actions est passée de 6,5% à 8% aujourd’hui. « La fiscalité ou la réglementation ne sont pas les meilleurs indicateurs pour investir », revendique Benoit Jullien, directeur des investissements et des placements. L’assureur mutualiste inclut le coût en capital requis que peut représenter un placement par rapport à ses fonds propres, mais il n’en reste pas là. « Si on considère que les placements actions peuvent rapporter beaucoup plus qu’un placement obligataire dans le futur, alors que les taux d’intérêt ont rarement été aussi faibles et que le risque d’inflation est élevé, cela vaut peut être le coup. 2011 nous a amenés à  reconsidérer l’actif sans risque : c’était l’emprunt d’Etat pendant des années. Aujourd’hui, il s’agit peut-être des actions, ou des devises de certains pays exportateurs de matières premières. »

    Pour Pierre Planchon chez Ernst&Young, cette projection est valable si l’on raisonne en instantané. « Mais nous avons des assureurs existants avec des stocks existants. Et, avec une décollecte nette en assurance-vie depuis trois mois, il n’y a pas d’inflow entrant pour investir sur de nouveau supports. » Selon le consultant, il y a donc plutôt intérêt à garder ses placements obligataires jusqu’au bout plutôt que d’enregistrer des moins-values, et le cas échéant investir sur des supports nouveaux au fur et à mesure.

    En fait, tout dépend du scénario macro-économique imaginé. « Si on part sur de l’inflation avec de la croissance économique, oui, cela fait sens d’investir en actions malgré solvabilité II. Mais si on reste en croissance molle avec de l’inflation, l’investissement action n’est pas une solution : il faudra alors plutôt viser l’immobilier ou de l’OAT indexé, ou encore des classes d’actifs aujourd’hui peu usitées. » Là où tous les experts s’accordent, c’est qu’il n’y aujourd’hui aucune certitude, et que le comportement des gestionnaires d’actifs s’adaptera à la conjoncture.

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