Les assureurs vont-ils continuer à miser sur les obligations en 2012 ?

    Si les investissements en actions sont pénalisés par la réforme de Solvabilité II, c’est l’inverse concernant les investissements en obligations. Ces placements sont-ils pour autant sans risque pour les assureurs ? La crise des dettes souveraines a clairement changé la donne.

    « Solvabilité II a oublié les obligations ». Voilà une phrase entendue chez de nombreux spécialistes. En effet, si les investissements en actions sont pénalisés par une très forte charge en capital requis, les investissements en obligations, considérés comme moins risqués, sont beaucoup plus avantagés par la réforme et donc avantageux pour les assureurs.

    D’où un mouvement de hausse des placements obligataires, au détriment des actions. « Solvabilité II va amener une forte volatilité du bilan. Les assureurs vont rechercher un meilleur adossement des flux d’actifs et de passifs, avec une poche obligataire qui va prendre en importance, et des titres choisis en fonction de leur duration et de leur notation », explique Pierre Planchon, responsable du pôle assurances chez Ernst&Young.

    Et le mouvement s’est déjà amorcé : les assureurs français ont investi 199Mds d’euros dans les dettes d’Etats en 2010 et ils détiennent 16% de la dette française. Si les obligations souveraines représentent 33% de leur portefeuille, les obligations corporate en représentent 37%. C’est bien plus qu’il y a quelques années. Entre 2000 et 2010, la part des obligations et OPCVM à revenu fixe est passée de 65,4% à 71,2%.

    Axa IM, Allianz Global Investors France et MMA Finance sont même les trois plus gros détenteurs de dette française. « Nous avons une exigence : que nos passifs correspondent aux actifs, explique-t-on chez Axa. Donc nous choisissons plutôt des actifs à duration longue, avec des rendements réguliers. » Les obligations représentent en effet plus de 80% du portefeuille du premier assureur français, équitablement réparties entre titres souverains et titres d’entreprise.

    La crise des dettes souveraines change la donne

    Pourtant la crise financière, elle, n’a pas oublié les obligations. Les déficits budgétaires cumulés des pays de l’OCDE représenteront 5,9% du PIB de la zone en 2012, selon les estimations de l’organisme international. La situation est plus difficile encore en Europe, dans les pays dits périphériques. La dette de ces pays ne fait plus rêver, et certains assureurs se sont désengagés.

    La Maif a par exemple réduit de moitié en 2011 son exposition aux obligations des pays dits « PIIGS », Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne. « Nous avons une gestion financière qui se veut adossée et prudente, comme la majorité des assureurs, explique Benoit Jullien, directeur des placements et des investissements. Nous avons donc privilégié les placements obligataires bien notés à taux fixe et indexés sur l’inflation. » Mais la détérioration rapide de la qualité de crédit des émetteurs des pays périphériques a poussé l’assureur à opérer des ajustements en 2011 :    les obligations des pays périphériques représentaient initialement 11% des placements réglementés. «Nous avons réduit de moitié cette exposition. Parallèlement, la part totale d’obligations a légèrement augmenté, avec des investissements sur des titres de maturité plus longue, et plus récemment sur des obligations indexées sur l’inflation et des obligations convertibles.»

    Si bien que certains considèrent que malgré l’incitation de Solvabilité II, les obligations sont des investissements aussi risqués que les autres. « Si je suis assureur, Solvabilité II me pousse à éviter les actions, raisonne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet de conseil Facts&Figures. Donc je vais sur de l’obligation : soit française, mais je sais qu’on sera prochainement dégradé et que la France sera incapable de rembourser sa dette à terme, soit d’autres pays émergents, mais se pose le problème du risque de change. »

    Dilemme

    « Les obligations françaises nous placent face à un dilemme, confirme Benoit Jullien de la Maif. L’exclusion des émetteurs des pays périphériques et de certains émetteurs du secteur financier nous amène à être particulièrement concentrés sur certains émetteurs qui pourraient devenir de “faux amis”. » Ainsi, les OAT représentent entre 40 et 55% des placements obligataires de la Maif, qui possède également des obligations d’entreprises françaises. « Imaginez que l’Etat français soit dégradé dans quelques jours, la moitié de notre portefeuille sera dégradé avec lui. »

    Selon Cyrille Chartier-Kastler, les supports obligataires qui font sens aujourd’hui sont limités : « Soit de l’obligation indexée à l’inflation car il est très probable que nous sortions de cette crise par de l’inflation, soit de l’obligation convertible en action, soit enfin de l’obligation corporate sur des groupes avec une activité forte à l’internationale, hors zone euro ». Cyrille Chartier-Kaslter ne se veut pas pessimiste mais « réaliste ». Il rappelle que plusieurs assureurs ont déjà annoncé de manière sibylline qu’ils augmentaient leur part d’obligations corporate. « Cela veut dire qu’ils réduisent très fortement leurs investissements sur les obligations souveraines françaises », déduit-il.

    La Maif croit au scénario de hausse des prix et a augmenté récemment sa part d’obligations indexées sur l’inflation. Mais Benoit Jullien impose une limite : « L’inflation n’est pas forcément une garantie que l’émetteur remboursera. Il ne faut pas oublier que l’Etat peut être fragilisé par l’inflation et finir par ne plus rembourser sa dette. Donc le pari est le suivant : il faut qu’il y ait de l’inflation, mais pas trop forte, sans quoi l’évolution de la prime de crédit émetteur viendra annihiler le bénéfice de l’indexation à l’inflation. » L’assureur doit donc avoir une gestion beaucoup plus dynamique que par le passé, et s’adapter à la conjoncture.

    Des obligations indispensables

    Chez Ernst&Young. Pierre Planchon reconnait que la crise obligataire complexifie encore le débat. Mais il rappelle que les assureurs ne peuvent pas se passer des obligations : « L’assurance-vie fonctionne de plus en plus avec des fonds en euros. On promet au client une garantie de son capital et un taux technique minimal. L’assureur ne peut pas brutalement sortir des placements obligataires car il faut bien un rendement minimal. Qui plus est, sortir alors qu’on est en moins value pose problème car à force, l’assureur va devoir puiser dans ses fonds propres pour garantir le capital ».

    Et concernant les obligations corporate, un problème de volume se pose : « Si on regarde ce qu’est le marché obligataire aujourd’hui, l’immense majorité, ce sont des obligations d’Etat. Ensuite ce sont des banques et enfin de l’industrie et du service. Donc quand vous avez des milliers de milliards à placer, par la force des choses vous vous retrouvez avec beaucoup d’OAT », continue Pierre Planchon, qui souligne que les obligations corporate sont très pénalisées au titre du risque de spread : « On va plutôt avoir un allongement des durations sur les investissements en obligations souveraines avec baisse de l’exposition aux risques de devise et un raccourcissement sur les investissements obligataires corporate pour minimiser cette charge en capital ».

    Si les visions des experts sont différentes, c’est bien parce que la situation économique est incertaine. Pour Cyrille Chartier-Kastler, une chose est sûre : « Lorsqu’on est directeur financier d’une structure d’assurance aujourd’hui, il y a de quoi s’arracher les cheveux.»

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